Perspectivia
Lettre1858_03
Date1858-07-05
Lieu de créationFrancfort [sur le Main]
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesMozart, Wolfgang Amadeus
Rembrandt
Legros, Alphonse
Veronese, Paolo
Ottin, Léon
Solon, Marc Louis Emanuel
Ferlet, Guillaume
Normand Saint-Marcel, Emile
Lieux mentionnésParis
Francfort-sur-le-Main
Œuvres mentionnéesS Selbstbildnis des 24jährigen Künstlers (autoportrait de l'artiste âgé de 24 ans)
S Kopie nach Ferdinand Bol, Bildnis eines jungen Herren (copie d'après Ferdinand Bol, portrait d'un jeune homme)
S Teilkopie nach Ferdinand Bol, Bildnis eines älteren Herren (copie partielle d'après Ferdinand Bol, portrait d'un jeune homme)
S Kopie nach Cornelis Janssens van Ceulen, Bildnis einer Dame aus dem 17. Jh. (copie d'après Cornelis Janssens van Ceulen, portrait de dame du XVIIe siècle)
S Kopie nach Rembrandt (copie d'après Rembrandt)
S Kopie nach Giorgion/Tizian, Fête Champêtre (copie d'après Giorgione/Titien, Fête champêtre)
F Copie d'après La Vierge de Séville de Murillo (1665)
F Copie d'après Les noces de Cana de Véronèse (1562)

Francfort [sur-le-Main]

5 juillet 1858

Mon cher ami,

C’est à moi maintenant de commencer la lettre en vous demandant pardon d’une faute qui est bien plus grande que celle dont vous vous accusez. C’est de ne pas avoir répondu à votre bonne lettre et si je vous demande pardon de cette faute, c’est avec plus de raison que vous ne le faites, car votre faute de ne pas avoir été au chemin de fer le jour de mon départ était pardonnée déjà avant que j’avais reçu votre excuse, pendant que je ne sais si vous me pardonnerez.

Mon cher Fantin, si vous étiez à ma place vous trouveriez peut-être un motif pour m’excuser et vous me pardonneriez. Vous ne sauriez croire quel plaisir votre lettre m’a fait, mais je suis un peu de votre nature, plus qu’une chose me donne de l’émotion, moins il m’est possible de m’exprimer sur elle et si je n’ai pas su répondre tout de suite, c’est parce que je n’aurais jamais pu écrire ce que je pensais dans ce moment, plus tard je crois toujours de ne plus avoir le droit de répondre. Je vous prie aussi de ne pas prendre ma lettre comme réponse à la vôtre, mais de me pardonner que je ne vous écris que maintenant et de croire que je resterai toujours votre ami le plus fidèle et que je pense toujours bien à vous.

Soyez persuadé que je voudrais bien mieux être chez vous à Paris que de m’ennuyer ici à Francfort où je n’ai pas d’amis, pas seulement des gens qui partagent mes idées sur beaucoup de choses que vous comprenez bien et de passer mon temps à faire de mauvais portraits pour le public, et pourtant je ne dois pas perdre le courage et dois bien travailler pour être en état de pouvoir retourner au bout de quelque temps à Paris. Vous ne vous doutez pas combien il est difficile pour moi de peindre autrement que je le faisais à Paris, cela me gêne beaucoup maintenant ; on a trouvé mon portrait affreux comme aussi mes copies,Scholderer, Selbstbildnis des 24jährigen Künstlers, B.18. Entre 1851 et 1858, Scholderer exécute différentes copies d’après Ferdinand Bol, Cornelis Janssens van Ceulen, Rembrandt, Titien, voir B.1, B.2, B.3, B.15, B.16. et les gens m’ont fait comprendre qu’ils ne désiraient pas du tout que je fasse leurs portraits dans cette manière, aussi les peintres ne sont pas partisans de ma manière, excepté un ou deux qui aiment mes copies. Je me suis isolé aussi des autres peintres et je suis que dans ma famille ou avec des gens qui ne font pas de peinture.

Je ne saurais vous raconter des nouvelles car je passe un jour comme l’autre à peu près ; seulement je fais beaucoup de musique et j’ai commencé à étudier mon violon que j’avais tant négligé à Paris, quand on est amateur il faut avoir de l’encouragement et l’occasion à faire quelquefois des duos ou quatuors, sans cela le goût pour ces choses se perd un peu. A Francfort, les musiciens sont bien plus heureux que les peintres car on les aime plus que les derniers, on fait des dépenses pour eux et en général on aime assez la bonne musique. J’ai été une fois à l’opéra pour entendre une fameuse chanteuse allemande qui chantait la partie de Rosine dans le Barbier de Séville,Le barbier de Séville (titre original Il Barbiere di Siviglia) a été créé le 20 février 1816 à Rome au Teatro Argentina sous la direction de son compositeur, Gioacchino Rossini. c’est un opéra qui me plaît beaucoup et je trouve que la musique est gracieuse et charmante et que tout est d’une grande fraîcheur, à Paris on donne maintenant les Noces de FigaroL’opéra de Wolfgang Amadeus Mozart Les noces de Figaro (titre original Nozze di Figaro ; l’ouvrage est sous-titré La Folla Giornata, La folle journée) a été créé le 1er mai 1786 à Vienne au Burgtheater sous la direction du compositeur, puis, peu après, à Prague. et je vous conseille bien de l’entendre le Barbier rappelle un peu cet opéra quoiqu’il y est encore bien loin, c’est une des plus belles choses que Mozart a faites et on peut bien apprendre à le connaître dans cela.

Qu’avez-vous donc fait dans cette chaleur épouvantable, travaillez-vous toujours à Saint-Cloud, je pense que vous devez bientôt être à bout avec la copie, comme je désirerais de la voir.En 1858, Fantin travaille sur une copie d’après La Vierge de Séville de Murillo, F.93, alors conservée à Saint-Cloud et qui lui a été commandée par le graveur Himly. Je voudrais bien aussi que vous m’envoyiez votre copie d’après Véronèse,Entre 1856 et 1867, Henri Fantin-Latour réalise sur commande cinq copies de l’œuvre de Paolo Caliari dit Véronèse (1528-1588), peintre vénitien, les noces de Cana, 1562-1563, huile sur toile, 666 x 990 cm, Paris, musée du Louvre. Il est ici question de la première version réalisée sur commande du frère d’Harriet Beecher-Stowe en 1856 : Les noces de Cana, F.72. aussi si vous y tiendriez, je pourrais vous la vendre pour six ou sept cents francs au moins, je crois cependant bien que vous aimez à la garder.

J’ai un très bon atelier ici, j’ai accroché vos esquisses autour de mon Rembrandt et mon GiorgionCopie d’après une Fête champêtre de Giorgione, B.16. Lors de son séjour à Paris, Scholderer réalise au musée du Louvre une copie de l’œuvre de Titien, Fête champêtre, vers 1510-1511, huile sur toile, 105 x 136,5 cm, Paris, musée du Louvre, alors donnée à Giorgione. est vis-à-vis, les portraits vont lentement on m’a fait perdre la semaine passée bien du temps parce que les gens ne sont pas venus pour poser, c’est désagréable parce qu’on n’ose pas commencer autre chose comme on croit toujours qu’ils viennent encore et on perd son temps d’une manière affreuse.

J’espère que vous m’écrirez bientôt une bonne grande lettre qui me montrera si vous me pardonnez et si vous pensez encore à moi et qui me donnera aussi un peu d’encouragement dont j’ai besoin. Écrivez-moi ce que vous faites, chaque petite chose m’intéressera, aussi je vous promets de vous répondre promptement et aussi plus largement qu’aujourd’hui, quoique je doute bien que cela vous intéressera. Écrivez-moi aussi ce que Alphonse fait et quand il reviendra à Paris, je lui écrirai la prochaine fois, quoique je ne lui pourrai dire grand-chose. Saluez-le bien de ma part, je possède encore son adresse dites-moi si c’est encore la même aujourd’hui. Je vous dis donc adieu et je vous demande encore une fois pardon. Je vous prie de ne pas me retirer votre amitié.

Votre ami

O. Scholderer

Saluez aussi Ottin, Solon, Ferley, NormandÉmile Normand Saint-Marcel (1840 - ?), peintre français. et ceux qui pensent encore à moi ou plutôt qui se rappellent de moi.