Perspectivia
Lettre1892_04
Date1892-12-31
Lieu de création6. Bedford Gardens Kensington, London
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesHédiard, Germain
Edwards, Ruth
Manet, Edouard
Scholderer, Viktor
Dubourg, Victoria
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Dubourg, Charlotte
Lieux mentionnésFrancfort-sur-le-Main
Œuvres mentionnéesF Un atelier aux Batignolles

6. Bedford Gardens

London W

31 Déc. [18]92

Mon cher Fantin,

Voilà la fin de l’année qui me reproche comme tant de fois de ne pas vous avoir écrit depuis longtemps. Votre dernière lettre m’a trouvé au lit. Avant d’avoir quitté Francfort j’étais malade, j’avais une espèce d’attaque de choléra, comme je croyais, et la malaise continuait ici pour quelque temps encore, maintenant je suis rétabli et me trouve assez bien. J’ai reçu, avec votre lettre, le catalogue de vos lithographies dont je vous remercie beaucoup. Il m’a fait le plus grand plaisir et j’en suis bien content, et d’avoir les titres de tous vos dessins, cela [a] été une très bonne idée de la part de Mr. Hédiard. Je vois que je les possède presque tout. Hier, j’ai vu Madame Edwards qui m’a donné de votre part la photographie de votre tableau de ManetFantin-Latour, Un atelier aux Batignolles, F.409. et je vous en remercie beaucoup, j’en ai une, qui cependant est bien faible, qui a été faite par un amateur, il y a longtemps, et la vôtre donne bien plus l’effet entier du tableau. Victor trouve mon portrait très ressemblant, il m’avait reconnu sur le tableau quand il l’a vu chez Mad. Edwards, il n’avait pas encore cinq ans.

Alors vous avez été aussi malade et aussi Madame pendant l’automne, en Allemagne, il n’y avait presque personne parmi nos amis qui n’a pas souffert de la même maladie, on craint que cela se renouvellera l’année prochaine. Mais nous espérons que vous soyez maintenant en bonne santé. Nous allons assez bien, Victor et moi, ma femme n’est pas en bonne santé, et me donne bien de soucis, et je ne peux rien faire pour elle. Victor a de longues vacances, il a travaillé bien. Il nous a fait le plus grand plaisir que vous et Madame ont pris tant d’intérêt à son succès à l’école, mais nous savions que cela vous ferait plaisir, et pour nous, vous pouvez le croire, c’est une grande consolation d’avoir un fils qui n’est pas bête et qui est incliné naturellement à apprendre, et s’occuper avec des choses intellectuelles. Il vous fera plaisir aussi d’apprendre que c’est surtout le français qui l’intéresse et qu’un jour, quand vous le reverrez, il saura parler votre langue – j’espère un peu mieux que son père – avec vous. Avec cela le grec l’intéresse particulièrement, mais tout cela pas dans le sens philologique, mais comme littérature, et ses professeurs étaient bien amusés un jour de lui voir faire un traité sur un thème grec, au lieu d’une traduction qui cependant il aurait dû faire comme l’avaient fait les autres. Il est toujours délicat, mais en assez bonne santé.

Quant au travail, j’en ai fait peu dans le dernier temps, l’obscurité depuis quinze jours m’a empêché de peindre, j’ai commencé quelques tableaux, une figure trois quarts, un garçon avec du gibier,Jutta Bagdahn mentionne le travail de Scholderer à cette œuvre dans la biographie de l’artiste (p. 84), mais ne l’a pas inventorié dans son catalogue. fond d’un bois, un autre avec un ciel, mais aussitôt qu’il fera clair je reprendrai mes natures mortes. Les affaires vont mal et les prix qu’on vous offre pour les tableaux sont terribles, c’est une manie maintenant parmi les marchands et les amateurs de vous offrir dix livres pour un tableau qui vous a coûté quinze jours de travail, et pour lequel vous demandez cinquante, et avec cela ils veulent avoir le choix parmi vingt tableaux. C’est une manie, comme je dis, et cela vient du commerce en général qui est fait comme cela, c’est les Américains qui ont créé cela et l’ont transplanté en Allemagne, et comme les Anglais sont des imitateurs par excellence et exagèrent tout une fois qu’ils ont adopté une chose, cela doit avoir sa course pour un certain temps, jusqu’à ce qu’ils trouvent que cela ne va plus. Mais il faut dire qu’ici les affaires vont plus mal que jamais et je ne vois aucun prospect que cela change. Tout ce que j’ai vendu dans le dernier temps était en Allemagne et la punition d’avoir quitté mon pays vient, comme je l’ai méritée. Eh bien, espérons toujours que la nouvelle année nous apporte plus de fortune !

Nous envoyons à vous et à Madame nos souhaits sincères, que dans la nouvelle année vous continuez d’être en bonne santé surtout, le reste va venir aussi et nos meilleurs compliments, et aussi à Madame et Mademoiselle Dubourg.

Victor vous embrasse et Madame

Votre ami

Otto Scholderer