Perspectivia
Lettre1898_03
Date1898-01-13
Lieu de création7. St. Paul's Studios, West Kensington
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesScholderer, Luise Philippine Conradine
Ingres, Jean-Auguste-Dominique
Hugo, Victor
Balzac, Honoré de
Millais
Corot, Jean-Baptiste Camille
Raffael
Dürer, Albert
Holbein, Hans
Michel Ange
Euripide,
Sophocle,
Aeschylos,
Dubourg, Charlotte
Lieux mentionnés
Œuvres mentionnéesF Tentation de saint Antoine

7. St. Paul’s Studios

West Kensington London

13 Janv. [18]98

Mon cher Fantin,

Nous vous remercions, ainsi que Madame, pour vos bons souhaits quant à nos santés. Nous nous sommes tous remis et vont assez bien. Merci bien pour votre bonne lettre et aussi pour les photographies d’après Ingres qui m’ont fait le plus grand plaisir. Vraiment vous me gâtez trop, mais en même temps je dois me montrer bien ingrat d’avouer que, quand je recevais votre paquet, je me flattai en pensant que vous m’envoyiez une d’après votre tableau de St. Antoine,Fantin-Latour, Tentation de saint Antoine, F.1624. mais c’est moins le désir de posséder une chose de la regarder bien souvent. Mais les tableaux de Ingres sont bien beaux et je suis bien content d’avoir le célèbre portrait de Bertin. Je remercie Madame beaucoup qu’elle m’a donné une de ces photographies rares, et j’avoue que je trouve ce portrait d’un charme qu’on ne peut pas décrire, certainement une des choses les plus belles qu’on puisse voir. Ces dessins sont venus justement au moment juste pour moi, car je suis pour « l’honneur et la probité » que j’ai toujours trop négligés et il me semble qu’en devenant vieux on est plus pour la forme, cela me rappelle ce que Victor Hugo a dit de Balzac, que cet homme si intéressant et grand dans la matière, serait oublié plus tôt à cause d’avoir négligé la forme et pourrait-on s’imaginer qu’on pouvait oublier les Grecs ? J’ai beaucoup réfléchi sur l’art de notre temps dernièrement et je commence à m’en détacher complètement. Il est impossible que sur ce chemin on peut faire de bonnes choses et c’est surtout l’uniformité de l’exécuti[on] mécanique qui est exaspérant.

J’ai oublié une chose en rapport de Millais dans notre conversation qui est bien naïf, il disait : on me parle toujours de valeurs, qu’est-ce que c’est que cela, je m’en fous bien, j’ai beaucoup ri de cela, mais, quoique Corot aurait été bien étonné d’entendre cela de la part d’un artiste comme Millais, ce n’est pas du tout si bête, car si l’on avait parlé à Rafaël, Durer, Holbein, Michel Ange etc. des valeurs, ils auront été bien étonnés aussi.

Victor est bien content ce que vous lui dites sur la Grèce. Il nous lit bien souvent des pièces de Euripides, de Sophocles et Aeschylos, en anglais ou allemand, et je commence d’avoir une idée de cette poésie qui me paraît bien d’accord comme simplicité avec leur sculpture, j’ai vu dernièrement une collection de petites figures en terra cotta, à peu près de la hauteur d’une main, et les attitudes exprimées dans ces petites choses sont simplement célestes, tout ce qu’il a de plus naturel, de grand et de sain.

Vous aurez maintenant assez de mes lettres pour bien longtemps. Comme je voudrais venir vous voir. Il serait temps, car cette vie de dure pas toujours.

Bien des choses à vous et à Madame ainsi qu’à Mademoiselle Charlotte de nous tous et merci encore pour toutes vos bontés

Votre ami

Otto Scholderer