Perspectivia

Mon tres cher Frere[,]

Je suis plus penetrée que je ne puis L’exprimer de toutes les graces que vous me temoignez dans votre derniere lêttre. Jl faut souffrir autant que je le faits pour avoir pû me resoudre d’entreprendre un voyage qui m’elloigne de ce que j’ai de plus cher. J’y aurois cependant renoncé sans peine[,] mon tres cher Frere[,] si vous l’aviez desaprouvé. Je conte ma vie pour tres peu de chose. J’ai souvent envisa[-] | gé la mort de prés sans l’avoir aprehendeé. Mais L’etat languissant et les souffrances continuelles [n… ]que j’endure me font craindre un etat encore pire pour le Futur si je ne tâche de le prevenir[.] Ce n’est pas vivre que d’etre privé pour ainssi dire de la faculté de pensser et de ne pouvoir gouter la moindre douceur de la vie. Ces raisons m’ont perssuadée a eprouver ce changement d’air qui a retabli a ce qu’on m’assure plusieurs perssones qui etoit dans le meme etat que moy. Bien [Con… ]loing de me remettre je crois que je mourois si j’etois privée[,] | mon cher Frere[,] de vos cheres nouvelles. Elle feront mon Unnique Conssolation[,] mon plaisir et mon Bonheur dans ce voyage come elles le font par tout ou je suis. Je me suis informeé de tous côté pour scavoir de quelle facon je les recevrai le plus promtement et on m’assure que le plus court chemin est de les adresser ici. Notre depart est fixé au 10[ octobre 1754]. Nous prenons le nom de Comte de Zollern ni ayant que des noms trop connus ou trop Barbare dans le | païs du Marg[rave]: que les Francois n’auroit jamais pu prononcer. Nous passerons a Anspach et nous aretterons un jour a Stucard pour tacher d’y [de ]paciffier les esprits qui comencent a se tranquiliser. J’aurai L’honneur de vous ecrire[,] mon tres cher Frere[,] de tous les endroits ou je serai obligée de m’aretter sur la route. Cett occupation me tient trop a coeur pour n’en pas profiter tant que je le puis. Rien ne pouvant egaler le profond respect et la vive Tendresse avec la quelle je serai toute ma vie[,]

Mon tres cher Frere[,]
votre tres humble[,] obeïssante Soeur et Servante Wilhelmine

[s. l. ][Bayreuth][? ]Le 1 d’Oct[obre]: 1754