Perspectivia

Mon tres cher Frere

Je suis enfin a Lion aprés avoir essuyé un fatigue Jnexprimable pour une pauvre Jnvalide come moi. J’y ai étée rejouie[,] mon cher Frere[,] par votre chere Lettre qui a rannimé mes forces par le plaisir qu[’]elle m[’]a causé, ayant étée privée pendant trois Semaines de vos cheres nouvelles[.] J’ai trouvé la paix retablie a Stucard. La Demoiselle qui avoit causé la guerre a étée renvoyée. On l[’]a dit enssainte [enciente][,] malgré cella sa Laideur a enfin degouté d’elle. De Stucard je suis allée a Durlach ou on nous a acablé de politesse. Le Marg[rave]: est aimable[,] solide[,] mais point Brillant[;] La Marg[rave]: plus Laide que jolie et charmante et | gagne autant par ses facons qu[’]elle pouroit gagner par sa beauté si elle en avoit. On a voullu nous rendre tous les Hon[n]eurs a Strasbourg, mais nous les avons refusez. Je n’y ai trouvé d’aimable que le Gen[eral]: Lieu[tenant]: Marquis de Vibrai. Un Comte Salm[,] Eveque de Tournai[,] nous a beaucoup amusé, il est [p… ]come le Docteur Balouard qui scait tout et ne scait rien[.] il nous a donné un Concert le plus Singullier du monde[,] il consistoit en deux Racleur de Boyeau qui ecorchoit les oreilles[,] M[onsieu]r L’Eveq[ue]: Chantoit des airs Jtaliens que j’avois L’honeur d’accompagner[,] il n[’]y avoit rien de plus Comique. Jl est Jmpossible d’ailleurs d[’]avoir plus de politesses et d’attention qu’on en a partout pour nous. De Strasbourg nous somes allez | a Colmar. Nous y avons été complimenté de L’Jntendent et du Comendent et de tous les Officiers. On me dit que Voltaire y etoit[,] que depuis 6 Mois il ne quitoit presque le Lit et qu[’]il n’etoit point sorti de chez Lui. Ce Monde s’etant retiré[,] je fus fort surprise de voir arriver le perssonage. Je vous avoue que je fus frapée. tant Je le trouvai changé, il s’apuyoit sur 2 Domestique qui l’avoit trainé les escaliers. Jl pleura en me voyant, et me conta [chanta ]sa gam[m]e. Jl dit qu[’]il vous adore[,] qu[’]il a eu tord[,] qu[’]il reconoit ses fautes[,] qu[’]il est L’home du monde le plus malheureux. Son [Jl ]etat[,] ses discours et sa Contenance m’ont fait pitié. Je lui ai fait quelque reproche sur sa Conduite[,] mais je n’ai pas eu le Courage | de le pousser et de L’affliger plus qu[’]il n’etoit. Son esprit est toujours le même. Jl travaille a son histoire Unniverss[elle]:[;] a force de chercher il a retrouvé plusieurs pieces qu[’]il avoit perdues. Jl vint Le Lendemain avec M[ada]me Denis un moment avant mon depart. Cett [C’est ]une grosse Fem[m]e qui ressemble a M[ada]me Hake. Elle s’est jettée aussi dans l’ecriture[,] mais a ce qu[’]elle m[’]a dit elle ne veut rien faire Jmprimer. Je suis un annimal aussi [a L… ]extraordinaire partout ou je vais que le Rinoceros. J’ai plusieurs fois étée sur le point d’etre dechirée par la Curiosité de voir la Soeur du Roi de Prusse. on Loue des Fenetres pour me voir descandre de Carosse et on me crie: [«]nous aimons le Roi de Prusse et tous ce qu[’]il lui apartient.[»] Je ne scaurois | vous dire[,] mon cher Frere[,] L’amour que La Nation a pour vous[,] il va a L’adorations, et je sens bien que je vous suis uniquement redevable des honneurs et des empressements qu’on a ici pour moi[.] Mais [Ce ]cette qualité de Soeur qui m’est si chere ne m’est point avantageuse ici. La Soeur est si fort au dessous du Frere qu[’]elle paroitra peut etre Jndigne de lui apartenir quand on la Conoitra[.]
Nous nous som[m]es aretez un jour a Digon. J’y ai vû une chapelle Antique dont[,] a ce que je crois[,] on ne scait pas trop L’origine. On [en ]veut faire passer ce monument pour payen. Cella ce pouroit[,] mais il n’est certainement point Romain[;] ce sont trois ordres /si on peut les nomer tells/ D’Architectures[;] les Collones du premier etage sont de Jaspe[,] mais ne sont point proportionée[,] | elles ont des chapiteaux Jnformes qui ne marque aucun ordre. Le secondes et les 3mes sont de porphire[,] ces trois rangées de Colonnes soutienent [soutientnt ]un Dôme[.] Come je ne suis ici que depuis hier je ne suis point encore sortie et n’ai vu perssone ayant grand besoin de me reposer. Je conte dans quelques jours d’aller voir des Aqueducs a demi Ruinez qui sont proche d’ici. Nous y sejournerons 8 jours. J’ai étée une couple de fois sur le point de faire le plongeon, mais l’exercisse m[’]a toujours remise, et je crois que le voyage me retablira plus que ne poura faire l’air de Monpellier[.] Mes Crampes ne diminuent point[,] mais je suis Libre des meaux de têtes. ce qui est un grand article pour moi. J’aurai L’honneur de vous faire la | poste prochaine La relation de ce qui ce passera ici et de vous mander [Je puis dire ]les nouvelles du jour. Je finis avec regret cette Lettre, mais la poste est prete a partir que ne puis je la suivre. En quelque endroit que je soye je n[’]y suis sans mon coeur qui ne vous quite jamais etant avec tout le respect et la tendresse Jmaginable[,]

Mon tres cher Frere[,]
Votre tres humble et tres obeïssante Soeur et Servante
Wilhelmine

Lion le 31 d’Oct[obre] 1754