Perspectivia
Lettre1873_02
Date1873-01-25
Lieu de créationLondon 17 Greek- St. Soho
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesScholderer, Luise Philippine Conradine
Deschamps, Charles W.
Durand-Ruel, Paul
Whistler, James Abbott MacNeill
Edwards, Edwin
Manet, Edouard
Legros, Alphonse
Thoma, Hans
Edwards, Ruth
Dubourg, Victoria
Fantin-Latour, Jean-Théodore
Maître, Edmond
Artz, Constant
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Paris, Salon
Londres, galerie Durand-Ruel (géré par Deschamps, 1870-1875)
Œuvres mentionnéesS Birkhahn auf grauem Hintergrund darunter auf weissem Marmor ein Fasan mit einer Ente (coq de bruyère brun et gris tacheté, en dessous un faisan et un canard sur du marbre blanc)
S Stilleben mit Möve und Raben, darunter auf dem Marmor ein Wildhase (nature morte avec mouette et corbeau, en dessous un lièvre sur du marbre blanc)
S Bildnis der Luise Scholderer (portrait de Louise Scholderer)
S Frau Scholderer am Früstücktisch (Madame Scholderer à la table du petit déjeuner)
S Jäger und Hirsch (chasseur et cerf)
S Porträt der Luise Scholderer (portrait de Luise Scholderer)
F Un coin de table
F Chrysanthèmes jaunes dans un pot de terre
F Aubépines roses dans un verre à champagne
S Bildnis der Luise Scholderer (portrait de Louise Scholderer)

London 17 Greek-St. Soho

25th. Jan[uary] 1873

Mon cher Fantin,

Je ne veux pas tarder de vous écrire un mot car votre lettre que j’ai reçue hier me paraît triste et je voudrais essayer de vous donner un peu de courage. Je sais bien que quand on est malade, on est trop incliné à se faire des tourmentations en tout genre, mais il faut se souvenir aussi dans la maladie même, que c’est elle qui est la cause de toutes ses idées. J’espère que quand vous recevrez ces lignes que vous êtes mieux. Maintenant je suis sûr que vous avez travaillé trop et qu’il vous faut du repos, et je vous conseille bien à ne pas commencer à travailler trop tôt, pas plutôt que le vrai désir pour votre travail ne soit revenu, j’ai appris cela moi-même que c’est mieux de faire comme cela. Je vous assure qu’il y a longtemps que j’ai craint cela pour vous, je me le suis [dit] bien souvent en apprenant et en voyant le grand nombre de tableaux que vous avez faits pendant un espace de temps si court. Je voudrais bien qu’il y ait à Paris une personne qui vous retenait à abuser tellement de vos forces et de votre santé, tout excès doit se venger un jour. Mais vous êtes très opiniâtre, si vous me permettez de dire cela. Comme le repos fait du bien quelquefois, surtout après un long travail et c’est lui surtout qui fait faire le progrès, les idées s’agrandissent et ne sont pas entrecoupées par la pratique et comme c’est joli de pratiquer de nouveau après le repos. Je suis sûr que vous êtes un peu d’accord avec moi. Quant au matériel vous pouvez vous permettre un long repos, j’en suis sûr. Eh bien, j’espère que vous profiterez de mes conseils, qu’on donne, je le sais, toujours mieux à un ami qu’à soi-même.

Quant à ma santé, je ne peux pas me plaindre, dans le dernier temps ma digestion est meilleure, aussi j’ai bien pu travailler seulement pas comme vous. J’ai fini une paire de tableaux comme les deux côtés du tableau du cerf. 1. un coq de bois, dessous un faisan, et un canard sur marbre blanc, fond gris ;Scholderer, Birkhahn auf grauem Hintergrund darunter auf weissem Marmor ein Fasan mit einer Ente, B.117. 2. un oiseau de mer (comme sur les autres tabl.) avec un corbeau, dessous posé sur le marbre un lièvreScholderer, Stilleben mit Möve und Raben, darunter auf dem Marmor ein Wildhase, B.118. et je suis surtout content avec le second tableau qui est en chaque rapport mieux que j’ai fait auparavant. Malheureusement mon atelier n’est pas assez clair, il faut être trop près des objets, et pour cela les derniers tableaux sont moins décoratifs que les autres et les ombres sont un peu trop noires. Le fond est bien, c’est presque la première fois que je réussis en cela, il est bien gris et les ombres portées moins lourds dessus. Le temps sombre m’a joué avec cela bien des tours encore aujourd’hui, il est 11 heures du matin et je dois écrire cette lettre ayant allumé le gas dans l’atelier, ces brouillards. J’ai fait encore quelques autres choses dont je vous ai parlé dans ma lettre précédente, je tiens surtout à mes natures mortes. Pour la Royal Academy je veux commencer le portrait de ma femme, je ne sais pas encore dans quel costume, cela doit être clair, je pense robe de soie japonaise verte claire et un chapeau de champs blanc, tout sur un fond clair.Une étude de ce portrait est conservée, Bildnis der Luise Scholderer, B.121. Rien ne confirme cependant que Scholderer ait achevé ce projet, il est possible que son aboutissement soit les divers portraits de 1873 sur l’ottomane avec la tasse de thé (B.122, B.123, B.124). J’ai choisi un portrait, c’est le plus court et ma femme est toujours à ma disposition. Peut-être j’enverrai mon chasseur avec le chevreuilScholderer, Jäger und Hirsch, B.48. en même temps, mais j’espère qu’on accepte le portrait, c’est mieux pour une exposition, j’exposerai alors le chasseur chez Deschamps.

J’avais déjà appris le vous aviez vendu à Durand-Ruel votre tableau du Salon.Fantin-Latour, Un coin de table, F.577. Le prix est vraiment très petit, trop petit même en considérant je sujet, cependant vous avez bien fait de le vendre il faut prendre l’occasion quand elle se présente.

J’ai vu de vos derniers tableauxFantin-Latour, Chrysanthèmes jaunes dans un pot de terre, F.635 ; Aubépines roses dans un verre à champagne, F.615. chez Deschamps, un pot avec les fleurs jaunes m’a paru extraordinaire, magnifique, ensuite un tableau très haut et très étroit, long verre avec des petites fleurs, astres je crois, c’est aussi superbe, il y avait aussi des roses, boutons dans un verre qui m’ont paru un peu violents de couleur, je sais bien que c’est dans la nature de ces fleurs, cependant les fleurs roses me semblaient un peu sortant de la lumière générale du tableau.

Quant au tableau de Whistler, je suis étonné d’entendre votre jugement, car j’ai espéré que vous pouviez mieux me donner la clef pour cette peinture que moi-même, cependant je vous avoue que je commence à les comprendre mieux depuis j’en ai vu plusieurs, je ne suis cependant pas arrivé au point d’Edwards qui me dit qu’il croyait que chacun devait comprendre cela (je suis sûr que lui-même n’a pas la moindre idée de cela). Parlez-vous des paysages ? J’en ai vu une dizaine et je les trouve de jour en jour mieux. La finesse de la couleur, surtout de sa touche, est charmante pour moi, c’est aussi frais que Manet et plus fin, plus gourmand je peux dire, cependant Manet a une fraîcheur dans son sujet que Whistler ne connaît pas, qui est plus influencé par son temps, son goût pour les objets qu’il voit, ainsi j’ai vu un tableau de lui avec des femmes en robes japonaises, sur une terrasse avec des fleurs, au fond la Tamise, l’endroit où il vit ;Scholderer doit faire ici référence au tableau de Whistler intitulé Variations en couleur chair et vert – Le balcon, YMSM.56, 1864-1865, huile sur toile, 29,3 x 19,8 cm, Washington, Freer Gallery of Art, Smithsonian Institution. eh bien cela m’a semblé déjà un peu hors de la mode dans le choix et la coupe des robes, du reste ces deux hommes sont bien différents et il ne faudrait pas les comparer, Whistler n’est pas tant l’homme de l’instinct que Manet, c’est plutôt un humbugHumbug signifie en anglais charlatan. né si on peut dire cela, ses qualités artistiques, dont il ne manque pas, ne sont pas assez fortes et pourtant il les a plus que Manet. Avec ses paysages, il veut vous tromper sur son talent, sur ses qualités et en choisissant le sujet le plus simple, il croit pouvoir faire passer son art pour une simple qui ne l’est pas du tout. Je comprends qu’il dit que Legros est le plus grand artiste, il sent bien que celui-ci a des dons de la nature qu’il ne connaît pas.

C’est rare de trouver l’harmonie des facultés que la nature vous donne unies avec le véritable esprit artistique, la seule chose qui fait l’artiste, et en cela je suis revenu sur votre idée dont nous avons parlé souvent autrefois, dans ce temps j’étais moins de votre avis. Je ne connais qu’un seul homme où ces deux choses sont parfaitement en harmonie, c’est Thoma où la logique du talent et celle de la réflexion (si on peut dire ainsi) sont en harmonie. Quant à nous deux, je crois nous nous ressemblons en cela que la réflexion, l’esprit pour l’art est prédominant et moi je n’en suis pas fâché, c’est la meilleure chose pour l’artiste, elle vous fait faire des progrès continuels. J’espère que vous ne vous moquerez pas de mes parallèles et de ma philosophie, mais j’incline beaucoup à cela.

Legros est parti pour l’Italie il y a six semaines, je ne l’ai plus vu depuis que vous ai écrit. Je n’ai pas vu Whistler. Quant à Edwards, je ne le vois plus dans le dernier temps. Je ne veux pas vous ennuyer avec toutes les petites choses qui nous ont entraînés à ne plus nous voir, un jour quand je le verrai, je lui dirai très franchement mon opinion. Vous me connaissez assez pour savoir que je ne suis pas un homme qui devient l’ennemi d’un autre pour une bagatelle, aussi cette affaire va s’arranger un jour, seulement je voudrais communiquer avec Edwards d’une autre manière qu’auparavant, j’étais trop fin pour lui, je lui ai donné trop, alors il m’a voulu me prendre entièrement, car sa vanité est comme la mer insatiable, et il est nécessaire que je commence à érecter un peu une barricade entre la sienne et la mienne. Ensuite toutes ses idées ne m’intéressent pas, à vouloir jouer un rôle dans la société artistique que je n’ai jamais aimé. Je me suis beaucoup retiré du club, je crois cela l’a fâché, je crois cependant que j’ai dû faire cela. Il est maintenant président du club,Edwin Edwards compte parmi les fondateurs du Hogarth Club 84, Charlotte Street, Fitzroy Square à Londres en 1858. Ce club réservé aux artistes élit ses membres. je trouve que ce n’est pas sa place, il est trop vieux et le club est fondé surtout par de jeunes gens, mais cela ne me regarde pas, seulement je veux pas être forcé dans n’importe quelle chose. Avec cela Edwards n’est pas intéressant pour moi, il est plat, son instruction comme son éducation et aussi celle de sa femme ne me suffisent pas, c’est le vrai esprit anglais que je n’aime pas du tout. Madame Edwards vient chez nous quoique nous lui rendons pas de visite, en cela elle manque de tact et c’est cela surtout dont ils manquent tous les deux.

Pardon mon cher Fantin, je crois j’ai tort de vous avoir écrit cela, cela ne peut pas être amusant pour vous, et ma lettre ne devrait avoir le but que de vous écrire de jolies choses, vous voyez cependant que vous n’avez pas à craindre de m’écrire quand vous voudrez de ces choses, je suis très tranquille, et n’ai aucune haine contre les Edwards, et me rappelle au contraire toujours le bien qu’ils m’ont fait, je n’ai que le but que de vivre tranquille avec les gens et pas être obligé d’être continuellement à ma garde. Je ne peux pas me décider de voir Whistler, sa vie est trop différente de la mienne qui est tranquille, je suis heureux et je n’ai pas de chagrin, l’argent vient toujours à temps pour ne pas me tourmenter trop. Comme je désire de vous voir un jour ici, et pourtant je crains que vous n’aimeriez pas la vie anglaise. C’est très différent de la vôtre et si l’on [n’] a pas un chez-soi agréable, c’est triste. Écrivez-moi sur vos projets, sur votre tableau pour le salon. Comment va Mlle Dubourg ? Je vous prie de la saluer de ma part, ainsi que M. votre père, est-ce qu’il va bien ? Saluez Maître et si vous voyez Manet, je n’entends rien de Artz.

Ma femme vous envoie ses compliments. Adieu, ne tardez pas à m’écrire comment vous allez.

Votre Otto Scholderer

<l’étude avec les portraits de vos sœurs sera envoyé un de ces jours>