Perspectivia
Lettre1880_15
Date1880-11-14
Lieu de création8 Clarendon Road Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesDubourg, Victoria
Edwards, Ruth
Deschamps, Charles W.
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Esch, Mlle
Menzel, Adolph Friedrich Erdmann von
Duranty, Louis
Keene, Charles Samuel
Lieux mentionnésLondres, galerie Deschamps, 1A New Bond Street (à partir de 1880)
Londres, Royal Academy of Arts
Londres
Œuvres mentionnéesS Gemüseverkäuferin - Marché aux légumes/ Gemüsemarkt (marchande de légume)
F Tulipes de toutes couleurs
F Pluie d'or
F Roses
F Fleurs
S Homeward - Heimwärts - Heimkehr von der Ernte (retour des vendanges)
S Peasant Girl/ Bauernmädchen - Landmädchen (paysanne)
S Strickende (femme tricotant)

8 Clarendon Rd Putney

14 nov. [18]80

Mon cher Fantin,

Chaque jour depuis que je vous ai envoyé les dernières lignes, je me suis proposé de vous écrire une longue lettre, mais il y avait toutes sortes de choses à faire qui m’en ont empêché.

D’abord, je dus finir un tableau, un peu à la hâte, pour une exposition que Deschamps a ouvert samedi passé à Bond-Street ;Deschamps ouvre une galerie à son nom, 1A New Bond Street, en 1880. c’était une marchande de légumes, une fille assise au fond d’une espèce de boutique, au premier plan un tableau de fruits et des légumes,Scholderer, Gemüseverkäuferin, B.190. ce qui m’a bien amusé à faire, et j’ai vu de nouveau combien la nature morte est utile et comme on apprend toujours de nouveau en la faisant. Il me semble que le tableau est un des meilleurs que j’ai faits, quoique j’y ai travaillé avec beaucoup d’interruptions, cependant la vente de mes tableaux à Manchester m’a donné plus de repos et de tranquillité, j’en suis bien content et je n’ai plus sujet à me plaindre, et si j’aurais la chance de vendre encore ce tableau, je serai tranquille pour un an pendant lequel j’espère de faire quelque chose de bien.

Vous devez avoir passé un temps assez agréable d’arranger l’atelier de Madame et de vous reposer un peu de votre travail de l’été, vraiment vous devez avoir travaillé énormément. Je voudrais pouvoir vous dire tout ce que j’ai éprouvé en voyant vos deux derniers tableaux de fleurs, mais c’est bien difficile à écrire et j’ai dû écrire tant pendant le dernier mois que j’en suis un peu fatigué. Vous m’avez écrit que vous trouviez que c’était mieux que vous avez fait auparavant, j’ai guère pu croire cela, parce que je croyais qu’on ne pouvait pas faire mieux que les tulipes et la pluie d’or,Fantin-Latour, Tulipes de toutes les couleurs, F.996 et Pluie d’or, F.998. mais je m’attendais à voir quelque chose d’extraordinaire, et c’est vraiment plus extraordinaire que je ne croyais. Je ne peux pas trouver que les roses et les gladiolusFantin-Latour, Roses, F.1000 et Fleurs, F.1001. Dans un panier quatre branches de glaïeuls et d’autres fleurs qu’on aperçoit dans l’ombre du couvercle. De la pluie d’or tombe au coin du panier. Sur la table une quantité de roses de toutes les couleurs. sont mieux peints, mais certainement ces deux tableaux sont d’une harmonie, d’une liberté d’exécution, l’arrangement est tout à fait charmant, le fond est si beau que je ne peux pas même me rappeler comment il est, c’est l’effet que me fait un beau paysage et en même temps, je crois sentir que vous étiez à la campagne, il y a une couleur dans cette peinture que vos autres fleurs n’ont pas dans un si haut degré. J’ai tout de suite vu que la lumière dans laquelle vous avez peint est différente de celle de votre atelier à Paris ; elle me semble mieux faite pour peindre des fleurs parce que les ombres, surtout les ombres d’en haut ne jouent pas un si grand rôle. Il est bien naturel que vous devez avoir senti cela en travaillant, c’est la différence de la lumière qui vous a fait faire un sujet tout à fait nouveau, je peux vous dire que je me rappellerai toute ma vie de ces deux tableaux, vous avez fait bien de belles choses auparavant, mais il en avait tant qu’ils se sont mêlés parfois dans ma fantaisie, mais ceux-ci, jamais je les oublierai, je crois vraiment que ce sont les plus belles choses que vous ayez faites et je vous prie instamment de ne plus faire des progrès, pour ne pas laisser nous autres tant en arrière. Je ne veux pas parler des détails de vos tableaux qui sont ravissants, surtout les corbeilles et puis l’ombre portée sur les roses, près de la corbeille avec les gladiolus, combien j’aurais désiré d’être près de vous quand vous faisiez ces tableaux, aussi je voudrais bien savoir comment vous avez procédé, quel morceau vous avez fait le premier etc. mais tout cela est trop long à écrire. Je suis bien curieux d’apprendre quels projets vous avez pour le Salon, je m’attends de voir de grandes choses !

Ma femme est occupée à écrire une lettre à Madame pour la remercier de son cadeau superbe, elle aurait désiré de le faire plus tôt, mais elle est bien faible encore et je trouve qu’elle est bien longue à reprendre ses forces, elle est sortie hier en voiture pour une heure, c’est tout ce qu’elle a fait, elle vous écrira ce que fait notre petit Victor, je trouve qu’il va bien et fait des progrès, il devient plus fort.

Je recommence à travailler depuis la semaine passée. Je pense à l’Académie et crois avoir trouvé un bon sujet, un marchand de légumes criant dans la rue. Il tient un panier avec des légumes dans une main, l’autre est portée près de la bouche qui est ouverte pour renforcer le cri, à côté de lui un âne et le chariot avec les légumes au fond.Il semble que Scholderer n’ait finalement pas réalisé ce projet. Le tableau sera coupé aux genoux de l’homme et je le ferai grandeur naturelle, je crois pouvoir arranger tout dans mon atelier, de l’âne on ne voit que la tête, de sorte que ce ne sera pas trop difficile à faire ; mais cela fera un assez grand tableau. Un autre tableau avec un paysan et sa femme allant au marché, portant de corbeilles avec des fruits ou des légumes aussi moitié figures, je veux essayer de le faire avec un fond de paysage. J’ai commencé encore un autre tableau, une fille tricotante moitié figure avec une corbeille de fleurs.

Nous avons cru voir Mme Edwards aujourd’hui, mais probablement le mauvais temps l’a empêchée de venir, il y a quelque temps que nous ne l’ayons vue et je crois qu’elle nous l’avons offensée. Ma femme ne l’a pas acceptée la dernière fois quand elle venait, avant 10 heures du matin, quand l’enfant dormait encore.

Nous avons remarqué que Mlle Esch avait très bonne mine et se portait très bien en revenant de la campagne et vous l’avez dû trouver aussi, cela nous a fait bien plaisir, j’espère qu’elle se tiendrait bien pendant l’hiver, car elle a besoin de ses forces.

J’ai vu les reproductions de Menzel dans le journal que vous avez envoyé à Keen, j’aurais aimé à lire ce que Duranty a écrit de lui, Mme Edwards n’a pas pu me le prêter. Les dessins, surtout la main est admirable quoique pas sans maniérisme, je ne peux pas nier que c’est un mélange d’admiration et de dégoût avec lequel je regarde les choses de Menzel. La raison, pourquoi il n’est pas aussi apprécié en Allemagne qu’il mérite, est sans doute qu’il a développé seulement une des qualités que les Allemands trouvent nécessaire pour leur art, et l’autre, l’imagination, il n’en a pas du tout ; c’est pourquoi que ses sujets ne sont pas neufs, il les prend de tout le monde – vous me direz qu’il les fait mieux que tout le monde, c’est vrai, mais je sais une chose que je ne l’aime pas ; je crois que les Français et les Anglais l’admireront toujours, les Allemands jamais tant que les premiers. Mais c’est trop difficile à l’expliquer, seulement je suis du parti allemand, les qualités originales de l’homme ne m’intéressent pas assez. Et maintenant assez pour aujourd’hui, vous trouverez certainement ma lettre déjà trop longue. J’espère bientôt d’avoir des nouvelles de vous et de Madame, comme vous avez arrangé le nouveau petit atelier, et comment vous vous portez, et ce que vous faites et vos plans pour l’hiver. Bien des choses à Madame et à sa famille. Écrivez-bientôt je vous prie

Votre ami

Otto Scholderer