Perspectivia
Lettre1888_02
Date1888-01-03
Lieu de créationParis
AuteurFantin-Latour, Henri
DestinataireScholderer, Otto
Personnes mentionnéesEdwards, Ruth
Dubourg, Victoria
Zola, Emile
Dubourg, Charlotte
Dubourg, Hélène
Dubourg, Jean-Theodore
Tolstoï, Léon
Lieux mentionnésBuré (Normandie)
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesF L'or du Rhdu Rhin
F La Damnation de Faust
F Béatrice et Bénédict
F Danses
F Vérité
F Lélio  : La Harpe éolienne
F Apothéose
F Sara la baigneuse
F Harold en Italie  : Dans les montagnes
F Symphonie fantastique - un bal
F La Prise de Troie  : acte III. Apparition d'Hector

[Paris.]

3 janvier 1888

Mon cher Scholderer,

Tous nos souhaits pour vous et les vôtres de bonne et heureuse année, surtout comme vous dites, la bonne santé, avec cela on a tout.

Je suis tout à fait de votre avis concernant les soins de la santé. Je crois comme vous que l’on boit et mange trop, c’est chez moi une idée fixe. A présent séparer le boire du manger, ne me paraît pas très utile, pourquoi après dîner le boire, plutôt que pendant ? C’est la dose qui me paraît importante. Quant au café, c’est ce qui me fatigue le moins, le matin cela me réveille et il faut dire que j’en prends très peu. Je crois qu’à nos âges, ces questions sont de la plus grande importance, si nous voulons travailler quelque temps encore.

Je vais vous dire mes moyens pour le pastel : d’abord la toile, pas trop grosse, bien tendre, sur un châssis à clefs et les clefs bien frappées pour que cela ne puisse pas se détendre, car les coups de marteau ne sont pas possibles. Il faut que la toile soit bien dégraissée ou bien absorbante, ou mieux, ce que l’on appelle toile au plâtre (ou vénitienne). C’est facile à faire soi-même sur une toile fine, tendue, une couche de plâtre ou terre de pipe. Puis je fais mon dessin au fusain, comme si je devais le laisser fusain. Alors je fixe mon fusain. Cela me fait comme une grisaille. Là-dessus je mets un peu de pastel, je remarque que moins je mets du crayon et mieux cela me paraît. Les clairs de la toile et les gris du fusain me servent beaucoup. Ce n’est guère que dans les sombres que je mets des couleurs, mais je ne fixe pas les pastels, je ne sais pas si cela peut se faire. Quelquefois je fais de la gouache, c’est-à-dire que je prends des couleurs à l’aquarelle et je colorie mon fusain. Le blanc de la gouache est aussi très agréable à employer pour rehausser. Tout cela est plus pour faire des esquisses que pour peindre d’après nature. Malgré tout le dessin, très achevé au fusain et fixé, me paraît éviter les épaisseurs de la couleur que ce soit huile ou pastel. Forme, modèle, effet, on a déjà presque tout cela avec le fusain. Sans compter que ce charbon dessous la peinture ne peut lui faire aucun mal et je crois que pour le pastel, si il y a quelques tons qui passent, au moins il restera toujours une base solide.

Pour le Salon prochain,Cette année 1888, Fantin n’expose pour la première fois que des sujets d’imagination : deux tableaux, L’or du Rhin, F.1327 et La damnation de Faust, F.1328 et deux pastels, Béatrice et Bénédict, F.1329 et Danses, F.1433. Par la suite ce dernier pastel est transformé en peinture à l’huile exposée au Salon de 1891 et actuellement conservée au musée de Pau. Fantin présente également des lithographies réalisées pour l’ouvrage d’Adolphe Jullien sur Berlioz paru en octobre 1888 : Vérité, H.76 ; Lélio, H.79 ; La damnation de Faust, H.83 ; Apothéose, H.89 ; Sarah la baigneuse, H.84 ; Harold, H.80 ; Symphonie fantastique – un bal, H.78 ; La prise de Troie, H.87. j’ai en train plusieurs fusains, et suivant ce qui me plaira, ils deviendront huile ou pastel. Maintenant, quand je crois que mon idée est bonne et que cela m’invite [ ?], je fais ce que j’ai fait pour Sara la Baigneuse,Sara la baigneuse, F.1295. je l’ai enduite d’huile et j’ai peint à l’huile sur mon pastel.

J’ai été très content que vous ayez été satisfait de ce que vous avez vu chez Mme Edwards.

Je regrette bien de ne pas vous avoir envoyé nos photographies de Buré, mais nous n’avions pas d’épreuves. C’est un essai d’un photographe du pays. Ma femme compte cet été se mettre à la photographie.

Moi je suis fanatique de la photographie, ce que je n’aime pas c’est de me voir photographié. Nous aimerions bien avoir les vôtres. Nous ne lisons pas Zola, cela n’est pas possible, c’est trop dégoûtant.Fantin rejoint ici l’opinion défavorable sur les derniers romans de Zola exprimée notamment par cinq jeunes auteurs dans Le Figaro à la suite de la publication de La Terre. Le manifeste des cinq paraît dans Le Figaro du 18 août 1887 : « La Terre a paru. La déception a été profonde et douloureuse. Non seulement l’observation est superficielle, les trucs démodés, la narration commune et dépourvue de caractéristiques, mais la note ordurière est exacerbée encore, descendue à des saletés si basses que, par instants, on se croirait dans un recueil de scatologie : le Maître est descendu au fond de l’immondice. » Voilà plusieurs années que nous lisons l’œuvre du Comte Léon Tolstoï, un russe qui fait des romans superbes et très sérieux. Il fait grande sensation chez tous ici. Lisez Anna KarénineAnna Karénine de l’écrivain russe Léon Tolstoï (1828-1910) paraît en volume en Russie en 1878. Le roman est pour la première fois traduit en français par les éditions Hachette en 1885 et fait l’objet de nombreuses coupures. ou bien ce qui est peut-être sa plus grande œuvre, La guerre et la paix.La guerre et la paix de Léon Tolstoï paraît en volume en Russie en 1869. Le roman est pour la première fois traduit en français par les éditions Hachette en 1879 et ne comprend pas la deuxième partie de l’épilogue. En plus, si vous trouvez des nouvelles de lui, je crois que vous en serez ravi.

La famille Dubourg et nous deux nous vous envoyons toutes nos amitiés à tous trois H. Fantin