Perspectivia
Lettre1890_01
Date1890-06-05
Lieu de création6. Bedford Gardens Kensington, London
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesScholderer, Luise Philippine Conradine
Scholderer, Viktor
Dubourg, Victoria
Carter,
Chardin, Jean-Baptiste Siméon
Edwards, Ruth
Janovski, Marie
Dubourg, Hélène
Dubourg, Charlotte
Janovski, Sonia
Lieux mentionnésLondres
Paris
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesS Stilleben mit Seemuscheln, Heringen und Crevetten (nature morte avec coquillages, harengs et crevettes)

6. Bedford gardens W. London

5 juin [18]90

Mon cher Fantin,

Voilà plus d’une semaine que je suis de retour de Paris sans que je trouve un moment assez tranquille pour vous écrire.Scholderer rend visite à Fantin à la fin du mois de mai 1890. Les jours que j’ai passés à Paris me semblent déjà comme un beau rêve et je suis rentré en mettant le pied sur la terre de l’Angleterre bien mélancolique. J’ai trouvé ma femme bien malade et pendant mon absence, elle souffrait d’un mal de gorge qui l’a inquiétée elle-même, heureusement elle est rétablie maintenant. Après cela nous avons fait les préparations pour l’opération dont Victor devait se soustraire et lundi passé on l’a fait. Vous pouvez vous imaginer comme nous avons souffert pendant ce temps, heureusement cela n’a duré qu’une demie heure, mais elle était tout de même bien longue pour nous. Il me semble que tout s’est passé bien et Victor se trouve déjà reconvalescent. Il faut espérer maintenant que cela a été pour son bien. Le docteur a dit que c’était un cas très mauvais (comme on dit ici) et qu’il fallait absolument faire l’opération ; on lui a coupé en même temps les amygdales. Mais je ne veux pas vous faire une description minutieuse de cela, c’est passé et nous sommes bien contents, j’espère qu’au bout d’une semaine il sera tout à fait bien. Le docteur vient encore chaque jour, mais paraît content des progrès de sa santé. Nous ne l’enverrons pas à l’école pendant l’été et le ferons prendre de l’air autant que possible.

Ma femme a été bien sensible du bon accueil que vous et Madame m’ont fait comme vous l’avez fait toujours et s’est réjouie avec moi du plaisir que ma visite m’a causé.

Quoique je suis si content de vous avoir vu après un si long temps, il me semble cependant que c’était bien court et si j’avais à faire encore ce que j’ai fait, je n’irais pas avec Mr. Carter, car il m’a fait bien perdre mon temps. Il y a tant de choses que j’ai voulu vous demander, parler avec vous de tant de choses, il me semble que je ne vous ai rien [dit] du tout, cependant je vis avec vous et vous m’êtes toujours près quand je travaille. En honneur de Chardin, je viens de faire quelques natures mortes et il me semble qu’elles m’ont rajeuni, je les ai faites avec le plus grand plaisir et je crois que vous en seriez content ; ce sont des cerises et des apricots, et l’autre des harengs saures suspendus par dessus une table où il y a des huîtres,Bagdahn pense qu’il peut être ici question de Stilleben mit Seemuscheln, Heringen und Crevetten, B.361. vous voyez, des sujets très juvéniles.

Mais j’oublie la chose principale : ma femme me charge de remercier Madame pour le charmant fichu qui lui a fait le plus grand plaisir et dont elle aime bien la couleur, elle lui demande bien pardon que ses remerciements viennent si tard, mais espère que Madame l’excusera quand elle aura appris tout ce qui s’est passé dans la maison, elle va lui écrire un petit mot demain. Victor a été enchanté de sa boîte à chocolat et vous envoie tous les deux mille remerciements, il l’a goûté en connaisseur. J’ai été voir Mme Edwards et je lui ai donnée votre lithographie nouvelle, mais elle ne m’a pas semblé si tendre à rapport du porteur. Je lui ai fait quelques allusions de ce que vous m’avez dit, elle a parlé elle même que vous trouvez qu’elle vend vos tableaux trop cher – mais elle prétend que non, je lui ai dit surtout de n’être pas si mystérieuse à rapport de ces choses et de parler franchement à vous, je crois qu’elle veut toujours être trop délicat. Elle m’a parlé des prix que quelques acheteurs lui offraient pour vos fleurs, qu’elle était furieuse etc. Je lui ai dit pourquoi elle ne vous écrivait pas cela, que vous ne seriez pas du tout offensé de sa franchise, alors elle s’est tue. Il est vrai que les affaires vont très mal partout ici et que c’est la rage d’avoir tout à bon marché, c’est à la mode, et la mode anglaise est terrible en n’importe que ce soit, c’est exagéré au plus haut degré. Peut-être ce n’est pas tout à fait la faute de Mme E. qu’elle vend moins de vos fleurs, cependant comme je vous ai dit, elle devient bien désagréable. J’ai remarqué que son profil devient de jour en jour plus sorcière, encore quelques années et elle me fera peur. Elle vient m’écrire que vous m’avez envoyé les deux photographies que je désirais tant et je vous remercie beaucoup, elles me feront le plus grand plaisir.

Je pense déjà à un sujet pour le Salon, ce sera certainement une nature morte dans le genre des grandes que j’ai faites autrefois, Paris m’a bien rafraîchi et j’espère que cela se montrera dans mes travaux, je ne ferai plus autre chose dans ma vie que portraits et natures mortes, il n’y a plus de temps à perdre malheureusement. J’espère d’avoir bientôt de vos nouvelles et dites-moi ce que vous faites, j’aime tant à le savoir. Je vous envoie avec la poste la somme que vous avez eu la bonté de me prêter et je vous en remercie bien. Notre voyage à Londres a été bon, la traversée magnifique, presque trop frais au deck, à Londres il faisait bien plus froid qu’à Paris. Je vous dis adieu, il me semble que je vous écrirai bientôt. Donnez-moi je vous prie le nom de cette belle <couleur violette que j’ai tant admirée sur votre palette, je me sers du vert malachite maintenant qui me semble bien utile. Peignez-vous toujours avec le vert Emeraude, ce vert foncé ?>

Madame votre sœur sera partie aussi maintenant, cela va faire un vide chez vous et vous sentirez bien l’absence de votre charmante nièce,Sonia Janovski. aussi j’aurais bien désiré de les connaître un peu plus.

Adieu, bien des choses à vous et à Madame de notre part et un baiser de Victor, et bien des compliments aussi à Madame Dubourg et Mlle Charlotte

Votre ami

Otto Scholderer

P.S. L’ordre est payé au bureau de Poste général ou principal, j’espère que cela ne vous cause pas trop d’embarras.