Perspectivia
Lettre1900_04
Date1900-09-07
Lieu de créationSchulstrasse 60, Francfort s/M
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesScholderer, Ida
Spier, Anna
Scholderer, Viktor
Dubourg, Victoria
Thoma, Hans
Müller
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Dubourg, Charlotte
Lieux mentionnésParis
Paris, Exposition Universelle, 1900
Francfort sur le Main, Städelsches Kunstinstitut
Buré (Normandie)
Kronberg im Taunus
Œuvres mentionnées

Schulstrasse 60

Francfort s/M

7 Sept 1900

Mon cher Fantin,

Voilà bien longtemps que je ne vous ai écrit, et j’ai besoin de toute votre indulgence ! Vous êtes bien bon de m’avoir écrit encore une fois, sans que je vous ai remercié de votre bonne lettre que vous m’avez écrit après la mort de ma sœur et dont je vous remercie de tout mon cœur. Je ne veux pas revenir sur ce triste temps, car la perte pour nous tous était trop grande, elle nous manque bien et à moi surtout, j’étais trop attaché à elle. Madame Spier vous a certainement parlé d’elle, elle aussi l’aimait beaucoup.

Nous avons justement été bien inquiets de Victor qui a passé une maladie grave, une inflammation du – je ne sais pas le mot français – en allemand c’est « Blind-DarmAppendice. », c’est peut-être ce qu’on appelle Peritonitis. Heureusement, il vient de se rétablir, quoiqu’il est encore couché, il lui prendra quelque temps encore pour regagner ses forces. Nous avions eu le projet de vous l’envoyer à Paris pour quelques jours, à son retour à Londres, maintenant je crains qu’il n’aura pas le temps, car sa maladie lui a fait négliger ses travaux pour son collège. C’est bien dommage et j’aurais tant souhaité que vous et Madame le voyez à Paris, mais ce sera pour un autre fois certainement.

Nous étions bien contents d’apprendre par Mme Spier que vous et Madame allez bien, elle nous a raconté ce que vous faites et de l’impression que votre atelier lui a fait. Elle est bien bonne et toujours prête à rendre service à ses amis. J’ai vu Thoma qui passe l’été à sa maison de campagne à Cronberg, il a eu la même maladie que Victor et on a aussi été bien inquiet de sa santé. Il est toujours le même et je l’aime beaucoup.

Vous demandez si je viendrai pas à Paris, mais je ne me sens pas la force et malheureusement, je n’ai pas le temps car j’ai bien des choses à finir pour la petite exposition que je vais faire au mois d’octobre, les obstacles me semblent insurmontables. La chaleur ici aussi a été affreuse et pourtant j’ai bien travaillé. En ce moment, je retourne de la campagne à cause d’une indisposition qui m’a un peu affaibli, il me fallait y faire quelques études de paysage nécessaires.

Notre demeure ici au bord du Mein et à deux pas de la maison où je suis né est tout à fait charmante, la vue est belle. Les ciels et la rivière d’une variété inépuisable, j’ai fait des études de ma fenêtre de notre balcon et je compte d’en faire encore beaucoup. Cependant mon atelier est à l’Institut Staedel, à dix minutes de notre demeure, il est petit mais assez confortable. Notre vie est assez tranquille, mais nous voyons plus notre famille qui compte deux médecins, Müller et Streng, le dernier un fils de la sœur de ma femme, ils ont pris soin de Victor pendant sa maladie et sont tous les deux très capables, nous leur devons beaucoup.

Je suis bien en train quant à mon travail et je ne regrette pas d’être retourné en Allemagne, aussi la fureur contre les Anglais s’est calmée et s’est transformée dans un doux mépris. Avec joie je vois le rapprochement de la France avec l’Allemagne et combien je souhaite que cela reste comme cela ! Les Anglais sont bien bas en ce moment et cette misérable guerre ne leur a pas fait du bien,Guerre des Boers (1899-1902) livrée aux républiques Boers (Afrique du Sud) par les Anglais. et quelle presse corrompue ils ont, ils auront bien des difficultés à se défaire de toutes leurs mauvaises institutions, je sens qu’entre l’Allemagne et l’Angleterre aura lieu une guerre, c’est-à-dire une sans armes qui durera au moins cinquante ans, ils ont toujours été le plus grand ennemi de nous et nous fait continuellement du tort depuis le Moyen Age. Mais me voilà dans la politique. La peinture allemande à l’Exposition ne vous aura fait peu d’impression et vous aurez vu qu’on y souffre de la même maladie qu’ailleurs, notre art est un appendix du commerce et le commis voyageur y joue le plus grand rôle quoique masqué habilement.

Il me semble que vous devez être de retour à Paris de Buré et je vous y adresse ces lignes. Nous tous espérons qu’elles vous trouvent ainsi que Madame en bonne santé.

L’Exposition doit être bien fatigante, mais vous prendrez sans doute bien du temps pour la voir. Comme il doit être beau à Paris maintenant, je n’oublierai jamais les mois de septembre que j’y ai passés.

Je vous dis adieu et nous envoyons tous nos meilleurs compliments à vous et Madame, aussi qu’à Mademoiselle Charlotte.

votre ami

Otto Scholderer