Perspectivia
Lettre1865_15
Date1865-11-23
Lieu de créationFrancfort [sur le Main]
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesHardy -Alan,
Manet, Edouard
Vélasquez, Diego
Scholderer, Adolphe
Proudhon, Pierre-Joseph
Müller, Victor
Burnitz, Karl Peter
Rembrandt
Ritter
Lieux mentionnésParis
Francfort-sur-le-Main
Londres, National Gallery
Paris, Exposition Universelle, 1867
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesF Copie, quatrième version des Noces de Cana de Véronèse (1562)

Frkft [Francfort sur le Main]

23 [ ?] nov[embre]. Jeudi [1865]

Mon cher Fantin,

Je vous remercie bien de votre bonne lettre, je voulais le répondre tout de suite, mais j’ai eu tant de choses qui me préoccupaient, que je ne trouvais pas le temps pour le faire comme je le voulais. Aussi, aujourd’hui, ce ne seront que quelques mots : d’abord j’ai été malade depuis que vous avez reçu ma dernière lettre et le suis encore, j’ai un mal d’estomac et vous savez cela dure longtemps, je n’ai pas de douleurs, mais suis faible, irrité, enfin malade, je n’ai rien travaillé il y a cinq mois, c’est triste et il me faut toute ma volonté et mon esprit pour me calmer. Ne pouvoir pas travailler c’est terrible, être malade, quelquefois un peu mieux ensuite pire, mais je ne veux pas vous écrire ces choses là, ce n’est pas amusant.

Quant à l’affaire de Mr. Hardy,L’affaire dont il est question concerne un règlement d’honoraires. Voir lettre 1865_14. il n’a pas besoin d’avoir quelque avis de moi, il peut toucher l’argent, quand il voudra. Maintenant j’ai encore une prière à vous demander, c’est à dire plutôt mon frère,Probablement Adolphe Scholderer (1833-1894). il voudrait que vous lui envoyiez le livre de Prud’hon sur l’artScholderer fait ici référence à l’édition posthume de l’ouvrage de Pierre-Joseph Proudhon, Du principe de l'art et de sa destinée sociale (Paris, Garnier, 1865) écrit en 1863. et vous me ferez plaisir de l’acheter et de l’envoyer, mais aussitôt que possible, il y a déjà quelques semaines qu’il m’a dit de vous écrire et je ne l’ai pas fait, maintenant il croit que je l’ai fait depuis longtemps, vous pouvez l’envoyer comme on envoie en général les livres, le marchand vous le dira afin que cela ne coûte pas trop de port. Je vous aurais envoyé l’argent de suite, mais je ne sais pas combien cela coûte. Mais je vous l’enverrai si vous voulez bien me le dire, je n’en ai pas d’idée. N’est-ce pas, j’ai toujours une commission désagréable pour vous ?

Moi aussi mon cher ami, je voudrais causer avec vous, comme je serais heureux de vous revoir, mais je ne sais pas quand, je ne peux pas encore fixer quand je quitterai Francfort, et pour aller à Paris pour y rester, je n’ai pas le courage d’après tout ce que j’entends de cette ville. On m’a dit que cette année il n’y aurait pas de Salon,En 1866, le Salon se tient comme chaque année à Paris. est-ce vrai ? On dit que parce que l’année prochaine il y aura la grande exposition.Scholderer fait ici référence à l’Exposition universelle de 1867 organisée à Paris.

Je voudrais voir votre copie des noces de Cana,Entre 1856 et 1867, Henri Fantin-Latour réalise sur commande cinq copies de l’œuvre de Paul Véronèse, Les noces de Cana, 1562-1563, huile sur toile, 666 x 990 cm, Paris, musée du Louvre. Il est ici question de la quatrième version des Noces de Cana, F.263. je conçois que cela vous fait plaisir, cependant il y a aussi des choses ennuyantes à faire, toute la préparation et le dessin, c’est un rude travail.

Manet a été heureux d’avoir pu voir les tableaux espagnols,Manet fait un très court voyage en Espagne à la fin de l’été 1865. Il découvre à cette occasion la collection de peintures espagnoles du musée du Prado à Madrid. Voir lettre de Manet à Fantin du 3 septembre 1865, conservée dans le fonds Custodia, collection Frits Lugt, 1997-A.642. moi je possède une photograph. du tableau des buveurs de Vélasquez ;Vélasquez, Les buveurs dit Le règne de Bacchus, vers 1628, huile sur toile, 165 x 225 cm, Madrid, musée du Prado. chaque jour je le regarde, chaque jour c’est une nouvelle instruction pour moi, un nouveau plaisir, c’est d’une simplicité inouïe, c’est l’œuvre d’un génie, oui c’est sa nature elle-même. Je connais le tableau de Vélasquez dont vous parlez, qui est à LondresLa National Gallery de Londres conserve alors de Vélasquez La Tela Real, vers 1632-1637, huile sur toile, 182 x 302 cm, Londres, National Gallery. d’après la description de Müller, cela doit être magnifique. Je n’ai plus personne, maintenant, avec qui je peux parler de l’art comme je voudrais, Müller est parti il y a quelques mois pour Munic pour y rester tout à fait au moins de ne plus revenir à Francfort, il me reste seulement Burnitz, il vient de rapporter de superbes peintures de la campagne, il a fait des progrès. Les Espagnols, voilà mon affaire, je vois chaque jour de plus en plus qu’ils renferment dans leur style ce que je veux dans ma peinture et même Rembrandt ne me paraît pas si grand à côté de Vélasquez, c’est encore plus universel, encore plus la nature ce qu’on voit de ses propres yeux !

Maintenant assez pour aujourd’hui, j’ai peine encore à écrire, je suis toujours trop faible, ayez de l’indulgence, mon cher Fantin et écrivez-moi bientôt, cela me fera le plus grand plaisir. Encore une chose que j’ai presque oubliée, mon frère vous fait prier aussi de lui annoncer les œuvres du jour soit en poésie, livres sur l’art enfin les choses remarquables, il sait que vous vous occupez aussi de cela et que vous en entendez parler. Il a commencé d’écrire des critiques là-dessus et ainsi vous lui fournirez le sujet pour ses critiques.

Maintenant adieu, voyez-vous les Ritter, saluez-les bien de ma part

Votre O. Scholderer