Perspectivia
Lettre1876_06
Date1876-05-28
Lieu de création[Paris]
AuteurFantin-Latour, Henri
DestinataireScholderer, Otto
Personnes mentionnéesLhermitte, Léon
Edwards, Ruth
Edwards, Edwin
Deschamps, Charles W.
Dubourg, Victoria
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Esch, Mlle
Wagner, Richard
Lieux mentionnésLondres
Paris, Salon
Bayreuth
Œuvres mentionnéesF L'anniversiversaire
F Fleurs (bouquet de dahlias)

[Paris.]

28 mai 1876

Mon cher Scholderer

je viens de voir Lhermitte qui m’a parlé de vous, il m’a donné des détails sur ce que vous faites, m’a dit qu’il vous a trouvé bien. Madame Edwards m’avait déjà dit que vous alliez avoir des portraits à faire, j’espère que tout va aller bien pour vous. Je relis votre lettre pour y répondre. Vous avez su que j’étais très mal placé, cela a été une désillusion, mais j’en ai déjà eu tant que je n’en suis pas trop mal.Fantin expose L’anniversaire, F.772 qui est très mal placé au Salon, beaucoup trop haut pour qu’on puisse bien le voir. En revanche, la nature morte (Fleurs, Bouquet de dahlias, F.766), à laquelle Fantin attache beaucoup moins d’importance, reçoit les faveurs de la cimaise. Je redouble au travail, voilà le seul remède à tout. Faut faire mieux, voilà la morale. Et en y pensant bien, c’est certain que un tableau ne suffit pas, il faut montrer complètement ce que l’on veut faire. Et vous savez bien que ce que l’on fait en général n’a aucun rapport avec ce que nous faisons ou nous voulons faire. A ma mauvaise place, j’ai pu juger mieux ce qui manque à mon tableau. Il va falloir des grands efforts pour tâcher de profiter des avis que donne toujours un tableau placé comme le serait une décoration. Des fautes dans les grandes masses, quelque préoccupé que je sois toujours de cela. Je vois bien des choses qui ne font pas ce que j’aurais voulu. Comme vous me le dites justement (je m’en aperçois bien), cela ne va pas en ce moment pour moi. Mais nous allons voir si cela résistera à mes efforts de faire mieux.

Avec les Edwards je suis toujours de même, lui ne m’écrit pas. Avec Madame nous sommes très bien, les dernières choses de moi que vous avez vues, c’est elle qui me les a demandées, car je suis bien résolu à ne lui envoyer rien que quand elle demande. Quand vous la voyez dites-lui, je vous prie, ce que vous me dites, qu’elle les vend ou veut les vendre trop cher, moi je ne peux et ne veux rien dire cela ne me regarde pas, je ne veux pas me mêler à rien, ils ne sont pas assez mes amis pour que je puisse tout leur dire. Edwards l’a pris trop mal ce que je lui ai dit, et cela me fait beaucoup de peine tous ces démêlés d’argent avec eux. Les opinions de Deschamps et du monde amateur cela n’est rien, ce n’est pas à Londres seulement que je vois cette mauvaise opinion. Je ne vois que cela, mais il n’y a rien à faire pour cela, c’est évident que dans la vie artistique on s’isole davantage tous les jours, mais cela est bon, on devient personnel. Je vous remercie bien d’avoir envoyé de vos amis, chez les Edwards, pour mes peintures. Je ne comprends rien à leur manie de vouloir vendre trop cher (car je n’ai pas augmenté mes prix). Mais vous ne pouvez vous imaginer comme tout cela m’ennuie, moi qui dans ce moment en suis à tout ce qu’il y a de plus intéressant dans la peinture. Je pense au tableau. Je suis à travailler vraiment sérieusement. Je voudrais faire des choses bien.

Je vais déménager au 15 juillet, je viendrai rue des Beaux-arts 8 où j’ai mon atelier.Fantin quitte le 82 rue Bonaparte où il habitait depuis 1870 pour habiter au-dessus de son atelier qui était au rez-de-chaussée et qu’il louait depuis le 10 avril 1868.

Vous vous souvenez que dans le cabinet au fond de mon atelier on voit un escalier condamné, eh bien mon propriétaire va me l’ouvrir, il communique à un petit appartement au premier que j’ai loué, puis quand je serai installé, je me marierai, voilà mes projets.

Je regrette bien de ne pas vous voir ici pour causer, car il me semble qu’il y a bien longtemps que nous n’avons pas eu ce plaisir, car les lettres, c’est bien insuffisant pour vous parler de tant de choses. Je renonce à vous parler du Salon, c’est bien peu intéressant. Je n’y vais guère du reste. Je n’y comprends rien à tout ce que l’on fait. Je sympathise peu avec tout cela. Je vous souhaite bien la santé à tous deux, car c’est très utile pour résister à tous les ennuis de la vie.

Je suis chargé de vous dire, pour tous les deux, bien des choses de la part de Mademoiselle Dubourg et sa famille. Dites bien des choses de ma part à Madame. Ne m’oubliez pas près de Mademoiselle Esch. Il paraît que TanhauserLa première du Tannhäuser de Wagner a lieu à Covent Garden le 6 mai 1876. a un grand succès à Londres. Je suis toujours de plus en plus enthousiaste de Tristan et Iseult. J’aimerais bien aller cet été à Bayreuth ?Cet été 1876, du 13 au 30 août, se déroule le premier Festival de Bayreuth auquel tous les admirateurs de Wagner rêvent d’assister.

Adieu mon cher Scholderer écrivez-moi bientôt et courage nous touchons au port, en avant.

H. Fantin