Perspectivia
Lettre1878_08
Date1878-06-16
Lieu de création8 Clarendon Road Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEsch, Mlle
Dubourg, Victoria
Edwards, Ruth
Müller, Victor
Duranty, Louis
Courbet, Gustave
Manet, Edouard
Degas, Edgar
Lenbach, Franz Seraph von
Lhermitte, Léon
Cazin, Jean-Charles
Scholderer, Emilie
Scholderer, Ida
Laibl
Brahms, Johannes
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Londres
Paris
Paris, Exposition Universelle, 1878
Heist (Région flamande)
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesF Hommage à Delacroix
F Le toast et La vérité
F La famille Dubourg
S Hof eines Bauernhauses in Kronberg (cours d'une maison paysanne à Kronberg)

8 Clarendon Road Putney

16 juin [18]78

Mon cher Fantin,

Je vous ai envoyé la lettre pour DurantyLouis Émile Duranty (1833-1880), écrivain, critique d’art et de littérature, il entre au Figaro en 1856 et fait paraître une revue, Le Réalisme (six numéros 1856-1857). Il commente également les Salons dans la Gazette des Beaux-Arts dans laquelle il soutient les théories de son ami Champfleury et fait partager son admiration pour l’œuvre de Courbet. Il rencontre Degas vers 1861 et devient son ami. Il fréquente le café Guerbois et figure dans l’Hommage à Delacroix, F.227, ainsi que dans le Toast !. Un célèbre duel en février 1870 l’oppose à Manet avec lequel il devient ensuite très ami. A la suite de ce duel, Duranty se brouille avec Fantin en février 1870. Ces mauvaises relations finissent par s’estomper et une véritable amitié se renoue entre les deux hommes dès 1873, Duranty soutient les impressionnistes et est dans les premiers à les défendre par écrit dans une brochure, La nouvelle peinture, en 1876. en espérant pouvoir vous écrire le lendemain, mais voilà une semaine déjà passée depuis. D’abord je dois vous féliciter de votre succès au Salon, dont Mlle Esch nous a écrit et vous pouvez facilement croire, que notre plaisir fût grand en apprenant cette bonne nouvelle. Je voudrais bien voir votre tableau dont vous étiez si content, mais j’espère que nous l’aurons ici.Fantin-Latour, La famille Dubourg, F.867. On vous a donc donné une bonne place enfin ? Vous n’avez pas écrit quel autre tableau vous avez exposé et Madame a-t-elle envoyé aussi ? J’espère que vous m’écrivez à propos de cela.

Moi j’ai travaillé avec beaucoup d’efforts dans ce dernier temps, mais cela n’allait pas du tout. Je n’ai pas encore achevé le grand portrait de la dame que j’ai commencé il y a quelques mois et j’y trouve beaucoup de difficultés. Je voudrais bien faire autre chose maintenant, des paysages quelque chose de loin, je voudrais bien faire un cour, comme le tableau que vous avez de moi ;Scholderer, Hof eines Bauernhauses in Kronberg, B.21. mais il faut que j’attende encore quelque temps. Je me figure que vous êtes occupé maintenant à faire des fleurs. J’ai appris que Mme Edwards vous a vu à Paris, je ne l’ai pas vue depuis, j’ai peur maintenant d’y aller car je suis si habitué qu’elle me dise quelque chose de désagréable. Ce que je regrette, c’est que je n’ai pas encore pris votre lithographie. Mais j’irai maintenant un de ces jours. Écrivez-moi un peu ce qu’elle a voulu à Paris, si elle vous a fait de nouvelles propositions. Tant mieux pour vous si vous n’avez pas besoin de faire des portraits en Angleterre et je vous souhaite bien de jamais être obligé d’en faire.

Nous avons le projet de nous donner un rendez-vous avec ma famille, à un bain de mer hollandais, une petite place près d’Ostende (HeistHeist, station balnéaire de Belgique (Flandre occidentale) sur la mer du Nord, à l’est de Zeebruge.) pour y rester un mois, mais ce n’est pas encore sûr. Nous pensons combien ce serait beau si vous pouviez venir aussi avec Madame, ce serait charmant, ce n’est qu’une chose que je crains c’est que vous trouveriez la place bien triste, car il n’y a que la mer et le sable. Ma sœur y a été avec Müller qui en a été enchanté, mais elle ajoute que cela ne prouve pas que le pays soit très pittoresque.

Duranty a été probablement très désappointé de ma lettreScholderer est sollicité pour partager ses connaissances sur la vie artistique en Allemagne avec Duranty, qui doit publier des articles à ce sujet. car les informations que je pouvais lui donner sont bien maigres, il y a si longtemps que je suis parti de l’Allemagne et je n’y ai plus de communications. Vous n’écrivez rien de Lenbach, aimez-vous les tableaux qu’il a composés à Paris ?Il faut comprendre ici ce que Lenbach a composé « pour Paris » et non « à Paris ». Il ne passe qu’une fois rapidement à Paris en 1867, avant de rejoindre Madrid et il n’y travaille pas particulièrement. Il expose en revanche quatre portraits à l’Exposition universelle de 1878 : Portrait du baron Liphart, n° 93 ; Portrait du docteur Doellinger, n° 94 ; Portrait de la comtesse Wittgenstein, n° 95 ; Portrait de Mlle Hirschl, n° 96, voir Catalogue officiel. Exposition universelle internationale de 1878 à Paris, Paris, 1878. Est-ce que Lhermitte a exposé au Salon ?Léon Lhermitte expose deux tableaux au Salon de 1878 : Le marché aux pommes à Landerneau et Une rue à Saint-Malo, ainsi que deux fusains, La halle aux poissons à Saint-Malo et Église de Mézy (Seine-et-Oise). Et Cazin, n’oubliez pas de m’écrire s’il a exposé de poteries à l’Expos. universelle, s’il a du succès avec cela ce que je lui souhaite bien.Cazin n’est pas mentionné dans les ouvrages décrivant la section céramique et verrerie de l’Exposition universelle de 1878. Voir Alfred-Robert de Liesville, Exposition universelle de 1878. Les industries d'art. La céramique et la verrerie au Champ-de-Mars, Paris, 1879 ; Victor d'Albert de Luynes, Exposition universelle internationale de 1878 à Paris. Groupe III. Classe 20. Rapport sur la céramique, Paris, 1882. Et Manet ?Manet, furieux de ne pas exposer à l’Exposition universelle, n’envoie rien au Salon. Rien de nouveau ? Ici il n’y a rien, nous vivons très tranquillement, je n’ai pas de succès cette année, je ne vois personne, et personne ne vient me voir. Il paraît qu’on évite encore une fois la guerre dont je suis très content.

22 juin Je continue ma lettre pour vous l’envoyer enfin. Nous irons à Heist le 6 juillet pour passer comme je vous ai dit un mois avec ma mère et ma sœur. Pensez un peu à cela, et dites-moi s’il y a de l’espoir de vous voir aussi là-bas, je crois qu’un séjour de quelques semaines au bord vous ferait du bien ainsi qu’à Madame, vous avez le temps à y réfléchir. Mme Edwards m’a écrit que vous aviez refusé votre visite à Londres, à cause de votre santé et de Madame qui ne permettait pas un voyage. J’espère que c’est seulement un prétexte pour ne pas venir à Londres et que vous allez bien. Mlle Esch nous écrit qu’elle va bientôt quitter Paris, nous avons appris avec plaisir que [sa] santé est mieux. Quel plaisir si nous pouvions passer quelque temps à Paris, mais je crains que notre bourse ne sera pas assez lourde pour cela. Les Anglais ont peu d’envie à acheter des tableaux en ce moment, quoiqu’on baisse les prix chaque jour.

Écrivez-moi un peu plus sur l’art étrangère à l’Exposition, avez-vous vu des choses de Laibl, le trouvez-vous en progrès ?A l’Exposition universelle de 1878, Leibl, expose Die Dorfpolitiker, 1876-1877, huile sur toile, 76 x 97 cm, Winterthur, Stiftung Oskar Reinhart.

Je trouve peu de choses intéressantes à l’Académie, il y a très peu d’Anglais qui regardent l’art d’un autre point de vue que pour gagner de l’argent d’avoir du succès.

Allez-vous aux concerts ? Nous entendons très peu de musique, dernièrement les chants d’amour de Brahms avec accomp. de piano à quatre mains qui sont très intéressants.Entre 1868 et 1869, Brahms compose les Liebeslieder (Valses d’amour), op. 52, avec quatuor vocal et accompagnement de piano à quatre mains et en 1874 les 15 Neue Liebeslieder (Nouvelles valses d’Amour). Ce sont de véritables valses et Ländler autrichiennes dans lesquelles Brahms – malgré tous ses raffinements stylistiques – parvient à capturer le caractère de la musique populaire autrichienne. Je vous dis adieu, saluez bien Madame de nous deux. Bien des compliments de ma femme. Écrivez bientôt je vous prie. Votre ami

Otto Scholderer