Perspectivia
Lettre1879_06
Date1879-02-24
Lieu de création[Paris]
AuteurFantin-Latour, Henri
DestinataireScholderer, Otto
Personnes mentionnéesMenzel, Adolph
Edwards, Ruth
Schumann, Robert
Callimaki-Catargi, Eva
Riesener, Mlle
Berlioz, Hector
Wagner, Richard
Eiser, Otto
Thoma, Hans
Goff,
Esch, Mlle
Goethe, Johann Wolfgang von
Edwards, Edwin
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Dubourg, Victoria
Lieux mentionnésParis, Salon
Œuvres mentionnéesF Portraits ou la leçon de dessin dans l'atelier
F Duo des Troyens
F Étoile du soir
F Manfred et Astarté
F La famille Dubourg
F Duo des Troyens
F Début de la Walkyrie
F Scène finale de la Walküre
F Manfred et Astarté
F Duo des Troyens
S Hof eines Bauernhauses in Kronberg (cours d'une maison paysanne à Kronberg)

[Paris]

24 février 1879

Mon cher Scholderer,

J’ai été très content de vous savoir revenus en Angleterre bien portants tous les deux et remis à travailler, on est bien chez soi. Et surtout pour travailler. Je vous remercie bien de votre envoi de la lithographie de Menzel, mais je n’ai reçu rien d’autre que Jésus au milieu des Docteurs.Menzel, Christus als Knabe im Tempel, Bock 406, 1852, lithographie, 43,5 x 57,7 cm.

Que peut être devenu le reste, ne sachant pas ce que vous m’envoyiez, je n’ai rien réclamé d’autre, que faut-il faire ? ….

Nous n’allons pas trop bien. Cet hiver long froid et pluvieux ne me va pas trop. Je me sens vieilli cet hiver, cela ne va pas. J’espère dans quelques jours du mois de mars un peu de printemps pour me mettre en train. Je commence mon tableau du Salon tout doucement.

J’ai deux demoiselles fort jolies il [y] en a une assise qui dessine le carton sur ses genoux, l’autre à côté d’elle, debout au chevalet qui en fait autant.Fantin-Latour, Portraits ou la leçon de dessin dans l’atelier (F.920, 1879, huile sur toile, 145 x 170 cm, Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique). Les deux jeunes filles représentées sont Mlle Callimaki-Catargi et Mlle Louise Riesener, fille du peintre décédé l’année précédente. Les deux amies ne sont pas des élèves de Fantin mais viennent parfois travailler à son atelier pour profiter de ses conseils. Il peint le portrait de chacune d’elles séparément l’année suivante. Au premier plan, un plâtre sur la table, des fleurs etc. … de la grandeur, à peu près de la même grandeur que La Famille D..La famille Dubourg, F.867, 1878, huile sur toile, 146,5 x 170,5 cm, Paris, musée d’Orsay.

J’aurai quatre lithographies aussi pour le Salon.Fantin-Latour, Duo des Troyens (H.22, 1878, lithographie, 30 x 22,2 cm) ; Étoile du soir (H.25, 1878, 30,7 x 22 cm) ; Début de la Walküre (H.23, 1878, lithographie, 23,2 x 31 cm) ; Scène finale de la Walküre (H.24, 1878, lithographie, 22 x 27 cm). En envoyant à Madame Edwards La famille D. je vous ai envoyé 5 lithographies, encore un Manfred de Schumann.Fantin-Latour, Manfred et Astarté, H. 21, 1879, lithographie, 24,3 x 31 cm. Manqué ! J’aime tant Manfred, le connaissez-vous ? Il me semble que c’est la plus belle chose romantique que l’on ait faite. J’ai refait un Duo des Troyens,Fantin-Latour, Duo des Troyens, H.22 qui reprend le thème de la lithographie Duo des Troyens, H.10. je n’en avais plus. Il y a une passion pour Berlioz en ce moment et nous entendons dans ce moment des choses superbes de lui grâce à cela ! Nous avons été enchantés de Roméo et JulietteFantin a entendu Roméo et Juliette de Berlioz pour la première fois en décembre 1875. dernièrement. J’ai aussi dans mes lithographies trois Wagner. La scène première de la Walküre, Siegmund au pied de l’âtre épuisé, Sieglinde lui donne à boire. Il y a l’arbre qui est au milieu de la maison et l’épée plantée dans l’arbre et le coup de lune par la porte ouverte. J’ai réussi toutes les scènes qui se suivent. L’autre, la fin de la Walküre. Brünnhilde endormie au moment où Wotan frappe la terre de sa lance en la quittant évoque LogeLogue. et la flamme l’entoure. Puis l’Étoile du soir de Tannhauser.

N’est-ce pas extraordinaire que ces concerts wagnériens, ce premier acte du Rheingold, le réveil de Brünnhilde est admirable. Il faudrait encore le théâtre peut être : le salut à la lumière aux Dieux, c’est extraordinaire. La scène finale, sa mort dans les flammes, cela j’en ai oublié tout. Je ne sais plus dans quel état j’étais tant j’étais transporté et je n’entendais pas les paroles. Les sujets sont si beaux ! Ce que j’en sais de la philosophie du Dr Eiser c’est peu de chose. Mais pourquoi ne dirait-on pas tout sur de telles œuvres. <J’aimerais bien voir les choses de Thoma sur Wagner.Depuis 1876, Thoma a peint plusieurs œuvres à sujet wagnérien pour Otto Eiser, aujourd’hui toutes conservées à Francfort-sur-le-Main à la Städtische Galerie im Städelschen Institut : Wotan et Brünnhilde, 1876, huile sur toile, 75 x 62 cm ; Siegfried et Mime, 1877, huile sur toile, 75 x 62 cm ; Les filles du Rhin, 1878, huile sur toile, 75 x 62 cm ; La course des Walkyries, 1879, huile sur toile, 75 x 62 cm, et en 1880 il réalise encore Le cortège des dieux se rend au Walhalla, 1880, huile sur toile, 75 x 62 cm.>

Je trouve que vous êtes sévère pour Menzel. Ce sujet m’est égal et ce tableau de Jésus avec tous ces juifsMenzel, Christus als Knabe im Tempel, Bock 406,1852, lithographie, 43,5 x 57,7 cm. me paraît très beau. Je n’ai pas votre idée sur les Prussiens, car je ne vois pas en Allemagne d’autre que la Prusse, elle a sauvé d’abord l’Allemagne de la France. Ils sont forts, énergiques, pratiques, le reste de l’Allemagne rêve …Fantin reprend ici l’opinion partagée par les Français d’une Allemagne divisée en deux camps. D’une part les Prussiens à casque à pointe, réputés pour leur brutalité, leur souci de l’ordre et leur sens des réalités et d’autre part le reste de l’Allemagne composé de romantiques apolitiques, doux rêveurs et poètes, fumant la pipe et portant un bonnet de nuit. Cette division s’affirme au cours des années 1860, mais la vision de l’Allemand romantique inspirée par la littérature, Goethe et Madame de Staël notamment, est rapidement reléguée au rang des souvenirs par la guerre de 1870 et l’unification de l’Allemagne.

J’aimerais bien causer de tout cela avec vous quand vous viendrez. Nous avons trouvé une place pour vos deux peintures. Nous les avons mises au-dessous de l’autre, la cour de ferme.Scholderer, Hof eines Bauernhauses in Kronberg, B.21. C’est là où cela se voit [le] mieux. Cela fait très bon effet, tous ceux qui les voient les trouvent très bien. Quel joli tableau vous feriez avec celui où il y a une figure. Ces terrains sont très beaux, très bien et l’arbre est très bien indiqué. J’aime bien aussi la mer.Ces deux peintures sont des esquisses exécutées à Heist par Scholderer. Nous sommes très enchantés de cela. Chaque fois que nous sortons (vous connaissez notre appartement) je les regarde encore.

Vous avez bien fait de m’adresser le Colonel Goff, je ne l’ai pas encore vu.

Mademoiselle Esch ne va pas bien, elle a été très souffrante ces jours-ci, il y a du mieux mais bien faible. Le temps est si mauvais. Moi j’ai bien assez de l’hiver, bien assez, si nous n’avons pas quelques beaux jours, je ne sais si j’aurai le courage d’aller au bout de mon tableau.

Les Edwards, donnez-m’en des nouvelles quand vous les verrez. Il me semble que cela va bien mal. Adieu, présentez bien mes compliments à Madame pour moi et ma femme ainsi que ceux de Melle Esch pour vous deux. H. Fantin