Perspectivia
Lettre1888_01
Date1888-01-01
Lieu de créationHildesheim Keswick Rds Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEdwards, Ruth
Dubourg, Victoria
Esch, Mlle
Jullien, Adolphe
Dubourg, Charlotte
Scholderer, Viktor
Zola, Émile
Scholderer, Adolphe
Scholderer, Emil
Scholderer, Emilie
Scholderer, Ida
Dubourg, Hélène
Dubourg, Jean-Theodore
Lieux mentionnésLondres
Francfort-sur-le-Main
Buré (Normandie)
Œuvres mentionnéesF Reine des prés
F Ariane abandonnée
F Ariane abandonnée
F Sara la baigneuse
F Portrait d'Adolphe Jullien

Hildesheim Keswick Rd

Putney

London

1 Janvier 1888

Mon cher Fantin,

Nous vous envoyons nos meilleurs souhaits pour le nouvel an, surtout pour votre santé et celle de Madame. J’ai vu hier Madame Edwards et j’y ai admiré beaucoup vos fleurs du dernier envoi, malheureusement le jour était triste, la lumière mauvaise, tout de même je les ai beaucoup admirées ; les marguerites sont d’une perfection et d’une simplicité admirable.Fantin-Latour, Reine des prés, F.1300. L’esquisse de votre Ariadne,Fantin-Latour, Ariane abandonnée, F.1060. ou mieux, le tableau au pastelFantin-Latour, Ariane abandonnée, F.1293. m’a beaucoup plu aussi et m’a bien intéressé à cause de votre procédé, je retournerai pour le voir de nouveau, c’est bien charmant. Mme E. m’a dit que vous avez fixé un part de la peinture, et je vois que vous le faites sur une toile, ce qui me paraît très bien, moi je l’ai fait sur du papier et c’est toujours risqué à cause des plis, aussi c’est moins sûr, quoique mon papier soit très fort. Le fixage me paraît être un grand avantage, seulement en faisant des portraits, ce serait difficile de s’en servir parcequ’on doit faire tout dans le moment et en profiter, cependant je vais l’essayer car j’ai toujours l’idée que mes pastels ne vont pas durer, ce qui serait désagréable, au moins pendant que je vis encore, quant au temps après ma mort je suis pour le déluge.

Votre pastel est d’une légèreté ravissante et c’est fait avec si peu de couleur et pourtant l’effet est très fort. Il me rappelle la grande esquisse de votre Tanhäuser que j’aime tant. Je regrette de n’avoir pas vu la berceuse, maintenant exposée à l’Institut,Fantin-Latour, Sara la baigneuse, F.1295. M. E. m’a donné une photographie de ce tableau qui me fait bien plaisir. Elle m’a montré encore une d’après votre portrait de Jullien qui me plaît énormément.Fantin-Latour, Portrait d’Adolphe Jullien, F.1292. Si quelque jour vous aurez un autre exemplaire, vous me feriez grand plaisir de me l’envoyer, je trouve que c’est un des plus [beaux] portraits que vous avez faits et je sais bien que la photographie ne lui rend pas justice.

Ce qui m’a bien amusé, c’était de voir les photographies de votre jardin à Buré avec vos portraits, c’est charmant et m’a mené bien près de vous, Madame et Mademoiselle Dubourg y sont bien reconnaissables, pourquoi ne m’avez-vous jamais envoyé une épreuve, cela nous aurait fait le plus grand plaisir, à ma femme aussi j’en suis sûr. Je vous aurais déjà envoyé nos portraits, mais je me figure toujours que vous n’aimez pas la photographie. J’ai fait moi-même mon portrait, celui de ma femme et de Victor que je pourrais vous envoyer pour que vous voyiez comme le temps nous a changés.

Votre portrait sur la photogr., avec le chapeau de paille et les sabots, est très bien et vous y avez l’air de vous porter bien. Savez-vous que je me suis figuré votre maison à Bury comme cela. Je suis certain que vous et Madame aimerez votre petite propriété de jour en jour plus, comme je souhaite me retirer dans un petit endroit pareil et de quitter l’Angleterre et surtout Londres que je hais pour toujours. Mais je suis bien obligé de mourir ici, punition, pour la lâcheté d’avoir quitté mon pays. Cependant je ne peux pas me plaindre, ma santé est meilleure comme autrefois, et si j’avais été pendant l’âge de 30 à 40 aussi bien portant comme à présent, cela aurait été un grand avantage pour mon travail. Nous avons commencé depuis quelque temps de ne plus boire en mangeant et je ne peux pas vous dire quel bon effet cela a eu sur ma digestion et on s’y habitue si vite ! Mais nous mangeons des fruits après le dîner, ce qui m’a été impossible avant le temps que je bois plus. Je crois surtout que tout le monde boit trop, j’en suis certain, aussi n’y a-t-il pas un animal qui boit en mangeant, boire ce n’est qu’une mauvaise habitude. Je voudrais bien encore pas prendre du café le matin, mais je n’ai pas encore assez de force pour cela. J’espère que vous allez vous moquer de moi !

Quant à mon travail, je n’en peux pas dire grand-chose, le temps a été affreusement sombre, c’était mélancholique. Aujourd’hui il fait froid ; mais un jour magnifique. J’ai fait le portrait d’une jeune fille à la chevelure rouge comme une carotte, très belle de teint qui m’a bien intéressé, je crois que c’est un des mes meilleurs portraits et pourtant on a été bien content.

Il y a long-temps que je voulais vous demander ce que vous lisez de la littérature moderne, est-ce que vous lisez Zola ? Je serais bien content si vous vouliez m’indiquer quelque volume qui vaut la peine de le lire, depuis les derniers 15 ans, je n’en ai lu que très peu. Notre vie se passe ici comme à l’ordinaire, depuis que je suis de retour de Francfort, ma femme a perdu un oncle en Allemagne et nous sentons que maintenant nous sommes les vieux de la famille. La mort de ma mère, quoique nous ici nous ne l’éprouvons pas journellement comme ma sœur et mes frères à Francfort, a laissé un bien grand vide dans notre vie, ma femme aussi l’avait aimée beaucoup et ma mère l’avait aimée.

Je vous dis adieu – j’ai presqu’oublié de vous dire que ma femme et Victor se portent bien, mais que tous les deux ont été bien malades pendant les jours de Noël.

Nos meilleurs compliments pour vous et Madame, j’espère que cette lettre vous trouve tous les deux en bonne santé. Rappelez-nous, je vous prie, au bon souvenir de Monsieur et Madame Dubourg et de Mademoiselle Charlotte, votre ami Otto Scholderer