Perspectivia
Lettre1891_04
Date1891-12-31
Lieu de créationParis
AuteurFantin-Latour, Henri
DestinataireScholderer, Otto
Personnes mentionnéesScholderer, Luise Philippine Conradine
Scholderer, Viktor
Dubourg, Victoria
Edwards, Ruth
Véronèse, Paul
Manet, Edouard
Guthrie, James
Dubourg, Hélène
Dubourg, Jean-Theodore
Tempelaere, Gustave
Lieux mentionnésParis, Salon
Œuvres mentionnéesF Hélène
F Le prélude de Lohengrin
F Évocation
F Le bain
F Le mage
F Le poète et la Muse
F La liberté
F L'Amour déur désarmé
F Scène finale de la Götterdammerung
F Sara la baigneuse

[Paris]

31Xbre 91

Mon cher Scholderer,

Je vous souhaite une bonne année ainsi que Madame et à Victor. Ma femme se joint à moi dans ces souhaits. Comment allez-vous tous, ici, nous sommes bien grippés. Nous toussons fort nuit et jour ! Quel hiver nous avons encore cette année, mais nous ne pouvons pas nous plaindre, car vous avez été plus malheureux que nous. Vous avez eu de grands froids et des brouillards ici, il faisait clair. J’ai vu Mr Crakanthorpe à qui j’ai promis un dessin lithographique. Pourquoi ne faites-vous pas un dessin sur ce papier autographique ?Le papier autographique est un papier enduit de colle sur lequel on écrit ou dessine au crayon ou à l’encre. Le tracé du papier est reporté sur la pierre par passage sous presse, le papier étant copieusement humidifié. L’avantage de cette technique est que le dessin reporté n’est pas à l’envers. Je suis sûr que cela vous plairait. On dessine là-dessus comme sur du papier, en plus le crayon lithographique est très agréable à manier.

Quand vous irez chez Mme Edwards, j’aimerais bien que vous voyiez une grande copie des Noces de Cana de 1866.Ruth Edwards vient d’acquérir la cinquième copie du tableau de Véronèse que Fantin a exécutée pour un amateur grec de Londres en 1866 (Noces de Cana, F.294). Vous ne l’avez pas vue, j’ai bien de l’intérêt à savoir ce que vous en pensez. J’ai proposé à madame Edwards de lui racheter, si elle ne la vend pas. Cela serait bien agréable de vivre avec Paul Véronèse. Cela m’a fait plaisir de vous savoir content de faire des natures mortes et de savoir qu’on les aime. Manet disait « Tout arrive », cela est vrai. La bonne peinture finit même par avoir des partisans. Est-ce que l’on compte Guthrie comme un impressionniste, mais il me semble qu’il a un vrai talent !

Voilà le temps qui vient du Salon. Cela est encore incertain pour mes projets.Fantin envoie au Salon de 1892 Hélène, F.1460 et Le Prélude de Lohengrin, F.1459 ainsi que deux pastels, Évocation, F.1464, et Le bain, F.1462, ainsi que plusieurs lithographies, Le mage, H.97 ; Le poète et la muse, H.45 ; La liberté, H.96 ; L’Amour désarmé, H.98 ; Scène finale de la Götterdammerung, H.100 ; Sara la baigneuse, H.99. J’ai fait dans les derniers temps beaucoup d’esquisses et j’ai trouvé un marchand ici qui me les achète.Gustave Tempelaere (1840-1904), marchand de tableaux rue Laffitte. Il crée sa galerie au 28 rue Laffitte, dans la « rue des tableaux », en octobre 1868. Il est voisin de la galerie d’Hector Brame, son beau-frère. Gustave Tempelaere devient peu à peu le marchand des peintres de l’école de Barbizon (Diaz, Daubigny …). Ses affaires prennent un essor considérable avec l’arrivée en 1887 de la production de Fantin. C’est en effet le 21 décembre 1887, aux obsèques de François Bonvin, dont il était le marchand, que Tempelaere rencontre Fantin. Une relation de confiance s’installe rapidement entre les deux hommes et Gustave Tempelaere devient le marchand exclusif de Fantin qui se félicite de pouvoir se consacrer entièrement à son art sans préoccupation commerciale. Gustave Tempelaere, à l’inverse de Mme Edwards, n’impose pas de genre à Fantin et accepte toutes ses productions d’œuvres d’imagination. C’est ainsi que les relations artistiques et amicales ne cessent de s’accroître jusqu’à leur décès respectif à quelques mois d’intervalle en 1904. Julien et Ferdinand Tempelaere, les fils de Gustave, reprendront la galerie à la suite de leur père en 1904. Ils quitteront la rue Laffitte en 1925 pour s’installer au 70 bd Malesherbes où ils resteront jusqu’en 1939. Compliments de nous deux et de Madame et Melle Dubourg. H. Fantin