Perspectivia
Lettre1894_02
Date1894-05-22
Lieu de création6. Bedford Gardens Kensington, London
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEdwards, Ruth
Berlioz
Rossini, Pascal
Scholderer, Adolphe
Thoma, Hans
Dürer, Albert
Dubourg, Victoria
Scholderer, Viktor
Vélasquez, Diego
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Dubourg, Charlotte
Dubourg, Hélène
Etty, William
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Londres
Francfort-sur-le-Main
Heidelberg
Munich, Glaspalast de Munich
Œuvres mentionnéesF Ballet des Troyens
F Déposition de croix
F Poèmes d'amour
F Le paradis et la péri de R. Schumann
S Stilleben mit angeschnittener Melone und venezianischem Glas (nature morte à la tranche de melon et au verre vénitien)
S Melon

6. Bedford Gardens London

22 May 1894

Mon cher Fantin,

Je sais que vous avez su par Madame Edwards la nouvelle de la mort de mon frère AdolphAdolphe Scholderer. qui a eu lieu le 7 de ce mois. Il avait voulu qu’on ne la fasse connaître à personne par lettre. Il n’y avait pas de convoi à son enterrement et la crémation a eu lieu à Heidelberg. Il a bien souffert pendant les dernières années, de sorte que sa mort a été une véritable délivrance. C’était une maladie de cerveau, aggravée par l’habitude de boire à l’excès. Il était doué de qualités intellectuelles pas communes, malheureusement pas soutenues d’un caractère fort. Il a été bien attaché à sa famille et a été bon pour nous tous, et nous éprouvons bien cette perte, heureusement il n’a pas été marié !

Madame Edwards m’a apporté vos nouvelles lithographies, dont je vous remercie bien. Elles nous ont fait le plus grand plaisir et nous les avons admirées grandement. La scène de Ballet de BerliozFantin-Latour, Ballet des Troyens, H.114. me semble la plus belle, et j’espère bien que vous fassiez un tableau de ce sujet tout à fait remarquable. Je n’admire pas moins le stabat mater de Rossini,Fantin-Latour, Déposition de croix, H.113. et je suis certain qu’avec un tableau pareil, vous auriez le plus grand succès, cela me semble tout à fait moderne dans le bon sens, ne pourriez-vous pas faire un pareil tableau grandeur naturelle, il me semble que cela vous représenterait entièrement dans un seul tableau ? Cependant, je sais bien que vous n’avez pas besoin d’un conseil en pareille matière, mais je trouve que vous êtes arrivé à un tel point de perfection dans la composition de vos tableaux, c’est devenu si entier et individuel que vous devriez en profiter, d’après mon avis ce sont certainement les deux choses les plus remarquables que vous avez jamais faites et l’exécution vous sera facile, ce grand avantage que vous avez sur tout autre artiste ; pourrais-je me flatter que mon conseil vaille quelque chose chez vous ! « Dans les bois »Fantin-Latour, Poèmes d’amour (3e planche), H.112. est bien charmant comme effet, aussi la scène avec les angesFantin-Latour, Le paradis et la péri. Finale, H.111. dont je ne sais pas le sujet.

J’ai vu Thoma à Francfort. Il fait aussi des lithographies, mais les peint après, il est très ingénieux en cela et en tire des effets bien étonnantes, c’est une source continuelle de laquelle on s’étonne continuellement. Ces lithogr. sont dans le genre des gravures sur bois de Albert Dürer et il songe maintenant à faire des chromo-lithogr. Mon frère avait possédé 23 tableaux de Thoma et j’en possède maintenant sept, deux magnifiques paysages, un clair de lune avec Luna et Endymion, une fuite en Égypte, très joli petit tableau, un Adam et Ève, des fleurs et deux esquisses, encore des paysages.

Mad. Edwards nous a dit le vous et Madame alliez bien. J’aurais bien désiré d’aller vous voir, mais j’avais à préparer encore quelques tableaux pour l’Exposition de Munich,Scholderer n’a finalement pas exposé à Munich en 1894, voir Illustrierter Katalog der Münchener Jahresausstellung von Kunstwerken aller Nationen im Kgl. Glaspalaste 1894, cat. exp. Munich, 1894. et je suis retourné à Londres, directement de Francfort. Je n’ai plus de chance à l’Académie,Scholderer présente à la Royal Academy de Londres Stilleben mit angeschnittener Melone und venezianischem Glas, B.371. Jutta Bagdahn pense que cette nature morte peut correspondre au Melon, B.392. on refuse mes tableaux, on a pris qu’une petite nature morte. Les Anglais sont devenus plus national dans leur goût que jamais, ce sont les mauvaises affaires qui ont produit cela. En musique aussi, on ne veut plus des étrangers, peut-être un jour ils chasseront les étrangers de leur pays, on commence à le faire partout un peu ; comme je serais heureux d’être chassé ! Je crains même que le nom allemand de mon fils empêchera sa carrière dans ce pays.La partie de la lettre qui suit est classée indépendamment à la bibliothèque de Francfort sous le numéro 132.

Cependant il travaille bien et fait des progrès. Le français toujours l’intéresse beaucoup et il s’y distingue à l’école. Il lit beaucoup et commence d’écrire des petits contes, quelques fois, mais rarement des poésies qui cependant sont trop profondes pour nous, c’est de la dernière mode !

Je vous enverrai prochainement une photogr. d’un portrait de Velasquez qu’un ami vient de m’apporter dans mon atelier et qu’il désire de vendre. C’est un portrait que le monde n’a pas connu jusqu’à présent et on doutera, je suis certain, que c’est un Velasquez, cependant ce n’est pas difficile à reconnaître, il me semble, et je suis bien curieux ce que vous en disez, je le trouve bien beau ; un portrait du duc de Medina que V. a peint à Naples,L’œuvre mentionnée par Scholderer n’est pas répertoriée dans le catalogue raisonné de Vélazquez, voir José López-Rey, Vélasquez : catalogue raisonné, 2 vol., Cologne, 1996. d’où le tableau vient. Mad. Edwards m’a dit que vous allez quitter Paris bientôt, pour Bury.Il s’agit en fait de Buré. Nous n’avons pas encore fait nos plans pour l’été, l’état de santé de ma femme ne me le permet pas, nous voudrions aller en Allemagne où on nous attend, mais je crains le long voyage.

Je vous dis adieu, bien des choses à vous et Madame de nous trois, et aussi à Madame et Mlle Dubourg, j’espère qu’elles soient en bonne santé.

Votre ami

Otto Scholderer

P.S. J’aurais pu acheter l’autre jour un magnifique Etty, figure entière de femme du dos, mais je n’avais pas d’argent, il se vendait 13 £.