Perspectivia
Lettre1896_02
Date1896-01-15
Lieu de création7. St. Paul's Studios, West Kensington
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesDubourg, Charlotte
Scholderer, Viktor
Vélasquez, Diego
Leighton, Frédérick
Breul,
Poynter, Edward James
Corot, Jean-Baptiste Camille
Rousseau, Henri
Dupré
Diaz de la Pena, Narcisse
Justi, Carl
Faliero, Marino
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Londres, National Gallery
Œuvres mentionnées

7. St. Paul’s Studios

West Kensington

15 Jan. [18]96

Mon cher Fantin,

Je vous remercie bien pour votre bonne lettre, et pour les belles photographies des différentes parts de votre atelier qui m’ont rappelé bien des souvenirs des temps quand nous étions jeunes, mais ne parlons pas trop de notre âge. Cela commence, bien sûr, mais il faut travailler tout de même, heureusement que c’est toujours le plus grand plaisir qu’on a encore.

Victor s’est bien amusé avec le tableau du portrait du chat de Mademoiselle Dubourg, lui aussi aime son chat tendrement. Les photogr. sont bien belles, malheureusement le portrait de Madame est trop raccourci, il faudrait un jour faire une photographie seulement du portrait.

J’avais bien reçu votre lettre avec vos souhaits pour la nouvelle année, et je vous en remercie de tout mon cœur. Nous serons bien heureux d’avoir de bons portraits de vous et de Madame. N’avez-vous pas les portraits de Madame Dubourg et Mademoiselle ? Madame fait de très belles photographies et je trouve qu’elle a fait encore des progrès depuis qu’elle m’a envoyé les dernières.

Je suis bien content que le Velasquez vous plaît autant qu’à moi.Scholderer a proposé à Fantin d’examiner une photographie d’un portrait inconnu de Vélasquez (le duc de Medina) qu’un de ses amis possède et qu’il croit authentique. Voir lettre 1894_02. La photogr. rend très bien le tableau. Le teint de l’homme est rougeâtre, brun, extrêmement simple, la chevelure se mêle presqu’avec le fond qui est gris brun. Il y a encore beaucoup de vernis sur le tableau, quoique j’en ai fait ôter une partie, le restaurateur n’a pas voulu aller plus loin, moi je le dévernirais plus s’il appartenait à moi, parce que le portrait est bien conservé et les craquelures que la photogr. montre sont moins visibles sur le tableau. Il est à présent exposé à l’Académie dans la collection des vieux maîtres. On l’avait offert à la National Gallery, mais Monsieur PoynterSir Edward Poynter (1836-1919), peintre britannique. Il travaille en France de 1856 à 1859 dans l’atelier de Charles Gleyre. Il y rencontre Whistler et fréquente le Louvre où il croise Fantin et Scholderer. En 1871 il devient professeur des Beaux-Arts (Chaire Slade) de l’université de Londres où Legros lui succédera et introduit en Angleterre des principes de l’enseignement artistique français (particulièrement le travail du dessin). Il devient directeur de la National Gallery de 1894 à 1904 et président de la Royal Academy de 1896 à 1918 à la suite de Millais qui lui-même succédait à Leighton. il me semble a cru que [ce] n’était pas un Velasquez, Leighton aussi auquel j’ai montré la photogr. ne l’a pas pris pour un original. Cela me semble si bête et montre comment ces gens-là ont regardé les Velasquez. Les Anglais en général, tous, ont très peu de jugement. Moi, quand j’ai vu sortir le tableau de sa couverture, j’ai reconnu dans un instant ce que c’était, et il aurait été bête d’en douter un instant. Le tableau appartient à un de mes amis Mr. Breul (un Francfortois) et il désire bien de le vendre, je crois pour £ 1500, je trouve qu’il vaut bien cette somme. Le tableau vient de Naples où il a été chez une famille pendant 150 ans, plus tard il était dans la possession d’une autre famille. Personne ne l’avait vu. J’ai envoyé une photo au professeur Justi à Bonn qui a écrit un grand volume sur VelasquezCarl Justi (1832-1912). Professeur d’histoire de l’art à Bonn de 1872 à 1901. Il a écrit Diego Velazquez und sein Jahrhundert, Bonn, 1888. et il m’écrit : quand la photo sortit de son enveloppe je me suis dit à l’instant : voilà un portrait de Velasquez. Les directeurs des Musées de Berlin et du Hague ont été plus réservés ce qui montre qu’il ne s’y connaissent pas.

Vous [s]avez sans doute qu’on a arrangé à l’Exposition des Vieux Maîtres, à la Royal Academy, une salle française. Il y a de beaux Corots, Rousseaux, Duprés, Diaz, une très belle collection, quoique très incomplète, un charmant Delacroix et son portrait de PaganiniEugène Delacroix, Portrait de Paganini, vers 1832, huile sur carton monté sur panneau de bois, 28 x 33 cm, Washington, Phillips collection. de son premier temps, très intéressant. Le grand tableau représente la décapitation du Doge Marino Faliero,Eugène Delacroix, Exécution du doge Marino Faliero, 1825-1826, huile sur toile, 146 x 114 cm, Londres, Wallace collection. je dois le regarder davantage, il faisait déjà sombre quand j’y étais.

Nous envoyons tous à vous et Madame nos meilleurs compliments, j’espère que cette lettre vous trouve en bonne santé.

Votre ami

Otto Scholderer

P.S. : Je ne dois pas penser à venir à Paris maintenant. Il me fait de la peine que je ne peux pas y aller vous voir, espérons l’année prochaine !