Perspectivia
Lettre1884_10
Date1884-11-18
Lieu de créationHildesheim Keswick Rds Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEdwards, Ruth
Schumann, Robert
Wagner, Richard
Berlioz
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Dubourg, Victoria
Scholderer, Viktor
Morrison, Monsieur
Esch, Mlle
Mozart, Wolfgang Amadeus
Beethoven, Ludwig van
Haydn
Schumann
Brahms, Johannes
Schubert
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Londres
Paris
Paris, Salon
Londres, Institute of Painters in Oil Colours
Œuvres mentionnéesF Nuit de printemps
F Étoile du soir, pour le Tannhäuser de Wagner
F L'étude, pde, portrait de Sarah Budgett
S Landschaft in Wiltshire (paysage du Wiltshire)
S Wiesenlandschaft (in Wiltshire) (paysage de prairie)
S Mutter und Kind (mère et enfant)
S Selbstbildnis (autoportrait)

Hildesheim, Keswick Rd. Putney

18 nov. [18]84

Mon cher Fantin,

Hier j’ai été voir Mad. Edwards, je y avait très longtemps que je n’avais été à Londres ; elle m’avait écrite qu’il y avait un cadeau de vous chez elle. Vous me comblez tellement avec ces cadeaux que je suis tout à fait honteux de votre bonté, quoiqu’il y a bien longtemps que je suis habitué à votre générosité que vraiment je ne mérite pas. Je ne vous ai même pas encore remercié de vos dernières lithograpies, que Mad. Edw. m’a apportées la veille de notre départ pour la campagne. Mais la cause est que je ne pouvais à peine les regarder, autant j’étais occupé avec les préparations de notre voyage, j’étais éreinté de la chaleur et fatigué au plus haut degré, alors il m’a paru que je ferais mieux de ne pas vous en parler, car vraiment en ce moment, je n’étais pas capable de les regarder comme il le fallait.

Aussi votre superbe esquisse sur la chanson de SchumannNuit de printemps (ou le rêve du poète), F.1148. je n’avais pu voir qu’à la hâte, et je suis bien fâché que je ne peux l’étudier avec loisir à la même place et dois aller à l’Exposition ;L’œuvre de Fantin est exposée à la seconde exposition de l’Institute of Painters in Oil Colours. je trouve que c’est la plus belle esquisse – on ne devait pas dire esquisse puisque ce n’est pas un nom à donner à un pareil œuvre – que vous avez fait.

Aussi pour le cahier en souvenir de WagnerBayreuth Festblätter, ce journal mensuel de Bayreuth, sous la direction de Hans von Wolzogen, paraît de 1878 à 1938. Il est fondé par Richard Wagner en 1878 pour être l’organe officiel du Patronat de Bayreuth. En 1883, après la mort de Wagner, les rédacteurs décident la publication d’un numéro commémoratif faisant appel aux principaux artistes wagnériens d’Europe ; Fantin y publie « En mort de Richard Wagner », F.1183, voir Bayreuth Festblätter im Wort und Bild : Gesammelte Beiträge deutscher, französischer, belgischer, schweizer, spanischer, englischer, amerikanischer und italienischer Schriftsteller und Künstler, mit Facsimiles aus dem Original-Partiten Richards Wagners zum Besten der Bayreuther Festspiele herausgegeben von der Central-Leitung des Allegemeinen Richard Wagner-Vereines, Munich, 1884, p. 46. je vous remercie bien, tout cela nous a fait le plus grand plaisir. Votre dessin du génie est splendide, vraiment ravissant, j’aurais fortement envie de le couper si cela ne venait pas de vous, car le reste ne m’intéresse guère, si ce n’est les fac-similés de l’écriture de Wagner. Les premières lithographies m’ont plu beaucoup, surtout l’effet de lune de Tannhaüser,Fantin-Latour, L’Étoile du soir (3e planche), H.48. mais aussi les deux femmes dont vous ne m’avez pas donné le titre.

Aussi les dernières lithographies m’ont fait grand plaisir et je les trouve aussi belles que possibles, la scène des Troyens de BerliozFantin-Latour, Italie !, H.52. est ravissante. Nous les avons bien admirées et ma femme en était enchantéé, et surtout aussi de la reproduction du portrait de la dame anglaise, d’un tableau que j’avais tant admiré.Vraisemblablement Fantin-Latour, L’étude, F.1100. Je le ferai encadrer de suite, puisque c’est une mesure que notre petite maison peut se permettre d’accrocher, je regrette chaque jour que je ne peux le faire avec toutes les dessins que vous m’avez donnés.

J’espère que si je ne vous exprime ma gratitude pour toute votre bonté que maintenant, vous ne pensez pas que je l’ n’ai pas eue déjà auparavant, mais je peux vous assurer qu’il ne se passe pas une heure dans la journée que je ne pense à vous, soit à votre art, soit à votre amitié ; c’est tout ce que je peux dire.

J’ai presqu’oublié de vous dire que vos dernières fleurs m’ont paru très belles. Les anémones japonaises blanchesFantin-Latour, Anémones (Anémones blanches du Japon dans un vase en verre), F.1166. étaient une nouveauté pour moi et je les trouve admirables.

Nous espérons d’avoir bientôt un mot de vous et que vous et Madame soient en bonne santé, Mme Edwards ne me raconte jamais un mot de vous, comment avez-vous passé le temps à la campagne, l’été a été le plus beau possible et vous devez aussi avoir joui du beau temps. Notre séjour à Wiltshire nous a fait du bien aussi, surtout à Victor qui s’en sent encore aujourd’hui, il est devenu bien plus fort depuis l’année dernière. Il est très gai et nous amuse bien dans un temps qui n’est pas amusant pour un artiste, c’est pire que jamais.

J’ai fait quelque portraits à des prix plus que bas et on espère de jour en jour que cela devienne mieux, mais on dit sera encore pire l’année prochaine. Victor parle l’allemand parfaitement bien et je trouve qu’il a même quelque talent à s’exprimer, compose de nouveaux mots ; il comprend bien aussi toutes les plaisanteries et il est toujours de bonne humeur et aime qu’on est gai. Il dessine ses locomotives comme à l’ordinaire, mais il a fait quelques progrès, il écrit bien les chiffres et sait compter et l’alphabet, cependant nous le forçons jamais pour cela, mais nous trouvons qu’il est trop intelligent pour le laisser trop longtemps sans une occupation où il peut cultiver un peu sa cervelle. Il parle du matin jusqu’au soir, mais joue aussi seul. Il se met devant le chevalet avec la palette et m’imite comme je peins, comme l’acteur le plus complet, pour cela il a vraiment un talent prononcé, quoique cela paraît exagéré de dire cela d’un enfant de quatre ans. Il me paraît très intelligent, mais je ne crois pas qu’il a des talents extraordinaires, je suis sûr qu’il aura quelque talent pour la peinture, car il peut bien dessiner pendant une heure et demie sans s’interrompre.

A Wiltshire, j’ai passé la plus grande partie de mon temps en donnant des leçons aux filles de M. Morrison dont vous avez dû entendre parler, ce n’était pas très amusant. Aussi, j’ai fait quelques esquisses de paysage,Scholderer, Landschaft in Wiltshire, B.244 ; Englische Landschaft : Wiese mit Schafen vor Gehöft (in Wiltshire), B.246 ; Wiesenlandschaft (in Wiltshire), B.247. puis j’ai commencé un portrait de ma femme en pastel, et celui de Mlle EschSelon Jutta Bagdahn, Le portrait de Mme Scholderer dont il est ici question pourrait être le Mutter und Kind, B.243. Le portrait de Mlle Esch n’est pas identifié. qui a passé trois semaines avec nous à la campagne. Plus tard, étant revenu à Putney, j’ai fait mon portrait en pastelAutour de 1884-1885, Scholderer réalise plusieurs autoportraits au pastel. Selon Jutta Bagdahn, il s’agirait du Selbstbildnis, B.252. et achève en se moment quelques autres portraits. Je suis honteux de dire que je n’ai pas fait de natures mortes depuis un an, mais j’ai le projet d’en faire une pour l’Académie et j’espère une aussi pour le Salon, peut-être j’aurai plus de succès que l’année dernière. On m’a refusé encore dans l’Exposition de PiccadillyRoyal Academy, Burlington House, Piccadilly. cette année.

Nous avons entendu à la Albert Hall le Parsifal,Parsifal est joué sous la direction de Sir Joseph Bamby, les 10 et 15 novembre 1884 au Royal Albert Hall. Pour des raisons de copyright toute représentation scénique de l’opéra est alors interdite ailleurs qu’au Festspielhaus de Bayreuth, seule la musique est donc interprétée à Londres. qu’on a donné deux fois à Londres. La représentation m’a paru très bonne, seulement la salle est tellement grande qu’on ne peut entendre la musique que très vague. Aussi quand on ne l’a jamais entendu, on est trop occupé avec le texte pour être capable de jouir de la musique en même temps. Les chœurs m’ont paru bien beaux, aussi comme à l’ordinaire les effets de l’orchestre sont admirables, jamais il n’y a un vide, l’effet est toujours complet. Mais j’avoue que je ne suis pas capable d’apprécier Wagner. J’aime beaucoup Lohengrin, mais je ne peux pas souffrir Tannhäuser,Tannhäuser (le titre complet est Tannhäuser und der Sängerkrieg auf den Wartburg ; Tannhäuser et le tournoi des chanteurs de la Wartburg), opéra en trois actes. Il a été créé le 19 octobre 1845 à Dresde, où le compositeur dirigea la version originale dite « de Dresde ». Il révisa son opéra pour une production le 13 mars 1861 à l’Opéra de Paris dans une version dite « version de Paris ». ni le vaisseau fantôme,Le vaisseau fantôme (Der fliegende Holländer), opéra en trois actes, créé le 2 janvier 1843 à Dresde, au théâtre de la Cour, sous la direction du compositeur. j’ai une véritable antipathie contre cette musique. Tout ce que j’ai entendu des œuvres des derniers de ses opéras m’a paru infiniment supérieur à ces premiers. J’espère que vous n’allez pas vous moquer de moi, mais je crois que cela dépend avec quelle musique on est élevé, et pour moi c’était Mozart et Beethoven et Haydn, je suis très borné dans ma capacité pour la musique, même Schumann et Brahms me font moins d’impression qu’autrefois, et j’aime plus Schubert. Le texte ou les paroles de Parsifal, ainsi que tout le drame m’ont paru bien beaux et je crois plus qu’on l’entendra, plus qu’on l’aimera, sur le théâtre cela doit faire un effet magnifique.

A Londres il n’y a rien de nouveau, nous avons été bien contents d’apprendre que le choléra à Paris n’a pas augmenté,En janvier 1884 le choléra, venu d’Égypte, apparaît à Toulon. L’épidémie restera limitée grâce aux progrès de la médecine et de l’hygiène. cependant je me suis convaincu que les chiffres des morts n’étaient pas très hauts, maintenant qu’il commence à faire froid il n’y aura pas de danger.

Je vous dis adieu mon cher Fantin, j’espère que vous et Madame vont bien, et aussi que vous allez m’écrire un mot bientôt. Nos meilleurs compliments à vous et à Madame.

Votre ami

Otto Scholderer.